par Brigitte Duzan, 2 mai 2014, actualisé 12 janvier 2023
He Ping (何平)
est un
metteur en scène un peu singulier qui n’est pas
passé par l’Institut du cinéma de Pékin. Il est
surtout connu pour être l’auteur d’une trilogie de
films qui le font apparaître comme un précurseur du
western spaghetti à la mode chinoise : le
"wuxia-western".
Débuts
dans les années 1980
D’origine
manchoue, d’une famille appartenant à la bannière
bleue, He Ping (何平)
est né en
1957 à Taiyuan dans le Shanxi. Son père, He Wenjin (何文今),
était un homme de théâtre, dans le Shanxi des années
1920. Sa mère, Yuan Yuehua (袁月华), était
actrice et a interprété l’unique rôle féminin dans
le premier film de fiction de la Chine populaire,
« Le Pont » (《桥》),
réalisé par Wang Bin (王滨)
en 1949 au
studio du Nord-Est.
Quant à He
Ping, il a débuté comme script, en 1979, sur le
He Ping
Le Pont
tournage
du film « Zhú » (《竹》)
de Wang Suihan (汪岁寒),
puis a continué comme assistant réalisateur de
divers films dans les années 1980, avant de devenir
réalisateur au studio de Xi’an à la fin de la
décennie.
Il réalise
là ses deux premiers films de fiction : « We
Are the World » (《我们是世界》),
en 1988,puis
« Kawashima Yoshiko » (《川岛芳子》),
inspiréde la vie d’une princesse mandchoue élevée au
Japon et espionne de l’armée japonaise, qui fut pour
cela exécutée par les Chinois à l’âge de quarante
ans.
Mais He Ping ne trouve un ton
et un style personnels qu’à partir du film suivant,
sorti en 1991 :
« Swordsman in Double Flag Town ».
Les trois films des années 1990
1991 : « Swordsman in
Double Flag Town »《双旗镇刀客》
Dès ce
premier film, He Ping s’affirme réalisateur
original, promoteur d’un genre nouveau : une sorte
de western à la chinoise mêlant des éléments de
wuxiapian et de films historiques, très prisés
du public chinois.
L’histoire
est celle d’un jeune garçon, Haige (孩哥),
qui, pour honorer la promesse faite à son père
mourant, se rend au village dit « du double
drapeau » - en plein désert - pour y chercher la
jeune fille qui lui a été promise dès l’enfance.
Quand il arrive, l’air innocent et peu assuré, il
provoque un certain mépris, en particulier du père
de la jeune fille qui l’invite cependant à rester
travailler dans son restaurant. Mais, lorsque Haige
tue un homme qui tentait de violer sa fiancée, il se
rend compte que la technique de combat que lui a
apprise son père fait de lui un adversaire
redoutable. En même temps, pour assurer sa sécurité
et celle de sa fiancée, il doit affronter un gang de
criminels qui terrorise le village.
Swordsman in Double
Flag Town
Entre le wuxia et le
western
La
référence à Kurosawa et à ses « Sept samouraïs » est
immédiate, mais le film est bourré d’autres
références, à
Tsui Harket
Wong Kar-wai
côté chinois, Sergio Leone et les westerns dits
spaghetti côté occidental, et, bien au-delà, aux
grands maîtres des films de wuxia,
King Huen
tête. Les combats, cependant, utilisent très peu de
techniques de wuxia, tirant plutôt vers un
style hollywoodien revu et corrigé. C’est très
stylisé, et la photo
est superbe : cela
restera l’une des caractéristiques des films de He Ping. Le
film a été couronné de divers prix, dont le prix de la
critique au 43ème festival de Berlin en 1993.
1994 : « Red Firecracker,
Green Firecracker »
《炮打双灯》
Adapté
d’une nouvelle de Feng Jicai (冯骥才),
« Red Firecracker, Green Firecracker » est
totalement différent, tout en gardant le thème du
héros luttant contre une bande de malfrats.
L’histoire
est située dans un village du Nord de la Chine, en
1911. La famille Cai y possède une importante
fabrique de feux d’artifice. Ils sont riches mais
sans héritier mâle. La fille aînée, Chunzhi (春枝),
est donc désignée pour prendre la tête de l’affaire,
à deux conditions : elle doit assumer une apparence
masculine, se faisant appeler « maître », et ne pas
se marier pour éviter que la richesse familiale
passe en d’autres mains. Or, la famille engage un
artiste pour, selon la coutume, décorer sa splendide
demeure à l’approche de la fête du printemps. Ce Niu
Bao (牛宝)
est évidemment un jeune homme séduisant qui va semer
la perturbation dans le cœur de Chunzhi et dans la
famille, avec des conséquences aussi
Red Firecracker, Green
Firecracker
explosives que les produits de
l’usine familiale. Pour restaurer l’ordre, la famille aura
recours à une tradition centenaire : choisir le mari à
l’issue d’une compétition publique…de feux d’artifice, aussi
spectaculaire que dangereuse.
Le film est une
réussite esthétique. L’intrigue amoureuse elle-même joue sur
le mode mélodramatique, mais avec beaucoup de retenue et
d’intensité, et le personnage de Niu Bao est superbement
bien campé, à la fois original, insolent et séduisant comme
il se doit. C’est aussi une très belle métaphore de la
théorie communiste de l’auto-destruction du système
capitaliste : l’usine est située d’un côté de la rivière,
représentant les forces de progrès, tandis que la demeure
familiale est située sur l’autre rive, symbolisant les
traditions « féodales » retranchées derrière leurs murs.
Cependant, comme
d’ordinaire chez He Ping, c’est la beauté des images qui
l’emporte : les vues de la vieille ville, du fleuve, mais
surtout les intérieurs en clair-obscur donnant l’impression
d’un éclairage naturel avec de vieilles lampes, comme
autrefois. L’air semble saturé de poussière très fine, on a
presque l’impression de la respirer. Ces images sont dues à
Yang Lun (杨轮),
à qui l’on doit aussi celles du
« Sorgho
rouge »
(《红高粱》)
ou du « Voleur de chevaux » (《盗马贼》)
de
Tian Zhuangzhuang (田壮壮).
Le film a récolté
une moisson de récompenses, dont, en 1994, trois Coqs d’or –
dont le prix du meilleur réalisateur et celui du meilleur
acteur à Wu Gang (巫刚)
- et la Concha de plata à l’actrice
Ning Jing (宁静)
au festival de San Sebastian.
1996 : « Sun
Valley »
《日光峡谷》
Sur un
beau scénario de
Zhang Rui (张瑞),
He Ping revient avec « Sun Valley » (《日光峡谷》) au
style de « Swordsman ».
Un
étranger solitaire qui semble tout droit issu des
« Cendres
du temps » (《东邪西毒》)
de
Wong Kar-wai
arrive dans la vallée du titre pour régler ses
comptes : il
vient attendre un homme qui a tué sa mère devant ses
yeux. Il se lie d'amitié avec la patronne de
l’auberge locale, une veuve qui vit avec un vendeur
de chevaux. Il rencontre aussi un vieux guerrier un
peu fou qui attend depuis des lustres que ses
ennemis pointent leur nez dans la vallée, et qui, en
attendant, est devenu un moine bouddhiste. Quand les
malfrats débarquent, le vengeur solitaire se joint
au combat à ses côtés…
He Ping a affiné son style :
intrigue minimale, centrée sur l’originalité des
caractères de chacun des personnages qui donnent sa
logique à la progression de l’action, style épuré et
Sun Valley
lenteur réflexive avec de soudains
éclats résolvant la tension, excellente interprétation, en
particulier par
Zhang Fengyi
(张丰毅)
dans le rôle principal, beauté du cadre et
de la photo, également signée Yang Lun, et musique de
Zhao Jiping (赵季平),
comme dans le film précédent.
« Sun Valley » a
obtenu une
mention honorable au festival de Berlin en février 1996,
mais il est resté relativement méconnu. Il n’est même pas
sorti en DVD. Ce fut un relatif échec commercial, mais He
Ping atteint là l’un des sommets de sa carrière.
Les difficiles années 2000
Dans les années suivantes, He Ping semble se soumettre aux
impératifs de l’époque et tenter une voie plus commerciale,
mais la qualité de ses œuvres s’en ressent, à commencer par
les scénarios.
Il
commence par une leçon d’histoire, car le récit se
situe – aux confins du désert de Gobi - à un moment
charnière de l’histoire chinoise, qui méritait
effectivement quelques explications : nous sommes
sous les Tang, au septième siècle, dans l’Ouest de
la Chine, territoire alors aux franges de l’empire
chinois, disputé par des tribus nomades… l’histoire
qui se déroule alors fait intervenir ces nomades,
avec un Japonais à la solde de l’empereur pour
retrouver un lieutenant mutin, le tout corsé par
l’équipée de la fille du général en poste dans ces
franges désertiques, qu’il faut ramener à la
capitale.
Les guerriers de
l’Empire céleste
Cela ressemble aux
intrigues complexes, sur fond historique, des romans de Jin
Yong (金庸),
mais sans en avoir la profondeur, en particulier au niveau
du traitement des personnages. Le film est toujours aussi
remarquable pour la beauté de la photo, signée ici
Zhao Fei (赵非),
mais il ne réussit pas à convaincre, surtout quand on garde
en mémoire le souvenir des films précédents de He Ping.
2009 :
« Wheat »《麦田》
Le film suivant,
« Wheat » (《麦田》),
a nécessité six ans de travail, et
a été projeté en
ouverture
du 12ème festival de cinéma de Shanghai.
C’est une superproduction de six millions de dollars
qui a exigé la reconstitution historique de la
période des Royaumes combattants pendant laquelle se
passe l’histoire, celle de deux déserteurs qui se
retrouvent du mauvais côté.
Le scénario
est divisé en cinq sections correspondant aux cinq
éléments à la base de la pensée chinoise. Il se veut
une réflexion stylisée sur la folie destructrice des
guerres, mais non dénuée d’humour, et peut se lire
comme un retour aux sources des récits de wuxia.
Il est riche en scènes spectaculaires, et il a à
nouveau un superbe style visuel. Par ailleurs, la
complexité de la trame historique et culturelle est
rare dans les films de divertissement, si bien que
l’on a pu dire que c’était un « film distrayant pour
intellectuels. »
Wheat
Peinant à trouver
son public en Chine, et s’exportant difficilement, He Ping
semblait s’être replié sur la production. Pourtant, six ans
après « Wheat », témoignant de sa capacité à se renouveler,
il surprend en sortant un nouveau film qui n’a apparemment
pas grand-chose à voir avec les précédents.
2015 : « The
Promised Land » 《回到被爱的每一天》
« The
Promised Land » est lefilm chinois, et même
l’unique film asiatique, figurant dans la sélection
de la section qui est l’une des grandes nouveautés
du 40ème festival de Locarno, en
septembre 2015, la section Zhantai ou
Platform, en hommage à
Jia Zhangke qui en
est membre du jury.
C’est une
surprise. He Ping a délaissé ses sujets historiques
usuels, et abandonné les films à la limite du
wuxia et du western sinisé, pour la plupart
tournés dans l’ouest désertique et photogénique de
la Chine. Comme il l’a expliqué au 18ème
festival de Shanghai, en juin 2015, « The Promised
Land » traite de la jeunesse chinoise d’aujourd’hui
(“当下人年轻人”),
et de ses problèmes d’intégration dans la ville
moderne.
Ce dont il
est question, c’est de la difficulté pour des
millions
The Promised Land
de jeunes
transplantés des petites villes rurales à se couler dans un
nouveau mode de vie urbain, dans les grosses agglomérations
de la Chine moderne qui, avec la destruction de leurs vieux
quartiers, ont effacé toute trace de ruralité, avec
l’humanité qui allait avec.
He Ping présentant «
The Promised Land » au 18ème festival de Shanghai
avec trois de ses acteurs, Liu Yiwei, Wang Jiajia et
Zhang Yi (de g à dr)
He Ping a
choisi pour personnage principal une jeune femme
originaire d’une petite ville, Ai Ling (艾伶),
qui est allée travailler à Pékin où elle donnait des
cours de yoga. Y ayant perdu son fiancé, Jiang He (姜和),
elle revient chez elle en faire le deuil, en un
mouvement de retour vers ses racines qui n’est
cependant pas sans problèmes non plus. Eternel
problème d’impossible retour aux sources
identitaires et culturelles.
Malgré la rupture
thématique, au moins apparente, les acteurs créent un lien
avec l’univers des films précédents : dans le rôle
principal,
Wang Jiajia (王嘉佳)
est l’actrice découverte dans
« Wheat » (《麦田》),
dont on retrouve aussi l’acteur
Wang Zhiwen (王志文).
Mais c’est sans doute la photo qui marque la plus grande
rupture de ton….
Trailer
He Ping est décédé le 10 janvier 2013, à l’âge de 65 ans.