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« A World Without Thieves » :

un sommet et un tournant dans la filmographie de Feng Xiaogang

par Brigitte Duzan, 21 avril 2017

  

Sorti en décembre 2004, « A World Without Thieves » (天下无贼) est l’une des dernières grandes comédies de fin d’année réalisées par Feng Xiaogang (冯小刚). Il ne reviendra vers la comédie qu’en 2008, après « Assembly » (《集结号》), et le ton ne sera plus le même. C’est « A World Without Thieves » qui amorce ce changement de ton, en offrant une sorte de regard désillusionné porté sur le monde ambiant, un monde corrompu où pullulent escrocs et voleurs de tout crin.

 

Un train emblématique bondé de voleurs

 

Le monde est ici représenté sous l’image d’un train qui fonce dans un paysage désert, un train bondé comme le sont les trains chinois, mais où sont représentées toutes les strates de la société, l’élite fortunée, avec salon et restaurant d’apparat, étant constituée de dangereux malfrats qui se fondent dans la foule pour mieux la dévaliser. Tout fonctionne ici au sens figuré.

 

A World Without Thieves

 

Une lutte entre deux clans de voleurs

 

Dans une BMW flambant neuve, fruit de leur dernière opération, deux escrocs – Wang Bo (王薄) et sa compagne Wang Li (王丽) – foncent sur une route désertepour aller visiter un monastère tibétain qui n’est autre que celui de Labrang. Mais, pendant que Wang Li se prosterne devant les images saintes, Wang Bo déleste les autres visiteurs de leurs téléphones portables. Wang Li, cependant, en a assez de cette vie de rapine, et veut arrêter : l’harmonie du couple est menacée.

 

Andy Lau et René Liu dans les rôles principaux

 

Le reste du récit se passe pour l’essentiel dans un train en provenance du Tibet où le jeune Sha Gen (傻根) [1] vient de passer plusieurs mois sur le chantier de construction d’un monastère ; il rente maintenant chez lui pour se marier, avec sur lui ce qu’il a gagné, 60 000 yuans (environ 8 000 €), naïvement persuadé qu’il n’y a de voleurs que dans l’imagination des gens, et le clamant.

 

Il attire donc l’attention de Wang Bo, tandis que Wang Li, touchée par son innocence, décide de le protéger. Mais la situation se

complique lorsque monte à bord du train une bande de malfrats menés par le redoutable Oncle Li (ou Huli 狐狸, le renard). Il a beau intimer à ses ouailles l’ordre de ne pas « chasser » dans le train, les autres sont alléchés par l’aubaine et s’emparent de l’argent, qu’ils se font aussitôt voler par Wang Bo. Ceci attire en retour l’attention de Huli qui tente de persuader Wang Bo de travailler avec lui. Et comme celui-ci décline l’honneur, la situation dégénère en conflit, avec Sha Gen au milieu toujours inconscient du danger. 

 

Par ailleurs, un détective et des policiers en civil sont aussi à bord du train, en filature, observant la situation se corser en attendant le moment propice pour intervenir. Quand finalement Huli tente de fuir avec l’argent de Sha Gen, il se retrouve face à Wang Bo qui a promis à Wang Li de protéger l’ingénu ; il arrive à récupérer l’argent mais il est mortellement blessé. Les autres sont arrêtés quand le train entre en gare… Seule Wang Li est laissée libre, et va prier pour le repos de son âme, et celle du bébé qu’elle attend.

 

Wang Baoqiang restaurateur de temple

 

Un scénario adapté d’une nouvelle

 

Comme le plus souvent chez Feng Xiaogang, le film est adapté d’une œuvre littéraire, une nouvelle ‘moyenne’ éponyme d’un auteur du nord du Jiangsu, peu connu hors de Chine car peu traduit : Zhao Benfu (赵本夫) [2].

 

Tension

 

Cette nouvelle est assez typique de la thématique chère à cet auteur, dont l’œuvre est bâtie autour de l’idée que la croissance urbaine a fait perdre aux hommes leurs liens avec la terre et leurs racines, donc leur bonté originelle ; c’est en particulier le thème du dernier roman de sa trilogie "de la terre-mère" (《地母》三部曲), un roman dont le titre est représentatif et rappelle celui de la nouvelle : « Une époque sans terre » (《无土时代》).

 

La nouvelle brosse le tableau d’un monde corrompu, de voleurs sans âme, à une époque où l’homme a perdu le sentiment de la nature et ses liens avec elle Seul a gardé son innocence première un jeune garçon qui, orphelin, a grandi dans un monastère, et a été formé par les moines à des petits travaux de restauration

 

Le thème est nouveau chez Feng Xiaogang, qui a repris la trame narrative de la nouvelle en y ajoutant – de son propre aveu [3] - quelques éléments de mélo et scènes comiques pour rendre la sauce plus piquante et gonfler son box-office [4].

 

Il en est ainsi de la fin dramatique où, Wang Bo ayant été tué dans son dernier effort pour reprendre l’argent de Sha Gen à Oncle Li, le film se conclut par une séquence en flashback pour mieux expliquer sa mort, seule scène explicite du film qui était jusque-là resté sans

 

Ge You et Li Bingbing dans les rôles de l’Oncle Li et Xiao Ye

une goutte de sang, dans un registre de comédie cynique. Mais la scène est tout aussi symbolique que le reste : on ne voit que la main ensanglantée de Wang Bo faisant glisser son sac, par une trappe, jusqu’à Sha Gen endormi après avoir eu un malaise en donnant son sang : il se réveillera comme si rien ne s’était passé, comme la Belle au Bois dormant. 

 

Ge You en maître vieillissant

 

Feng Xiaogang a également peaufiné une séquence burlesque qui tranche avec le reste, tant par les situations et les personnages que les dialogues : dans cette scène, quelques petits truands viennent dévaliser les passagers du train, avec un effet comique assuré en outre par le jeu de Fan Wei (范伟).

 

Alors que les autres voleurs sont des personnages subtils, peu ordinaires, avec cette attaque plus banale, on entre dans le fait divers courant, qui renforce l’idée

générale d’un « monde de voleurs » totalement gangrené : il y en a partout, de toutes sortes et de tous niveaux, les seconds venant complexifier l’action des premiers. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans le film, où l’intervention inopinée des petits détrousseurs de passagers déclenche l’arrestation des hommes de l’oncle Li ainsi que la fin de Wang Bo.

 

En même temps, la subtilité littéraire des dialogues et des caractères ancre le film dans une longue tradition de stratagèmes guerriers remontant aux Royaumes combattants et aux Trois Royaumes. Les voleurs de Feng Xiaogang sont de fins et redoutables stratèges à l’ancienne autant que des mafieux modernes de type hongkongais, cette dernière analogie étant renforcée par le choix des acteurs.

 

Un choix d’acteurs symbolique

 

Andy Lau 刘德华                     Wang Bo 王薄

 

Oncle Li châtiant les coupables d’insubordination

(You Yong et Gordon Lam)

Rene Liu 刘若英                      Wang Li 

Ge You 葛优                           Hu Li,  Oncle Li 黎叔

Li Bingbing 李冰冰                   Xiao Ye 小叶

Wang Baoqiang 王宝强            Sha Gen 傻根

You Yong 尤勇                        Lao’er 二当家 (l’un des mafrats de l’équipe de l’Oncle Li)

Gordon Lam 林家栋                "quatre-yeux” 四眼

Zhang Hanyu 张涵予               détective 刑警

Fan Wei 范伟                          un autre voleur 劫匪之一

 

Fan Wei en petit voleur

 

Aux acteurs de son monde habituel, Ge You (葛优) en tête, mais aussi Fan Wei (范伟), Feng Xiaogang a adjoint des acteurs types du cinéma de Hong Kong, Andy Lau d’abord, mais aussi You Yong (尤勇) et Gordon Lam (林家栋) [5] dans les rôles des subalternes indociles de l’Oncle Li. Côté féminin, l’actrice taïwanaise René Liu (刘若英) dans le rôle de Wang Li apporte un côté sentimental et humain qui vient en opposition au cynisme de son partenaire, rôle qui a d’ailleurs été couronné par plusieurs prix, dont un aufestival des Cent Fleurs.

 

Quant aux acteurs de Chine continentale, ils renforcent leur image, Wang Baoqiang (王宝强) en naïf incorrigible repris de son rôle précédent, dans « Blind Shaft » (《盲井》), et Zhang Hanyu (张涵予) dont le rôle annonce celui du film de Feng Xiaogang réalisé quatre ans plus tard, « Assembly » (《集结号》).

 

Ce qui frappe, a posteriori, dans ce film, c’est le tournant qu’il représente dans le ton général adopté par Feng Xiaogang. Malgré les scènes comiques, on a dépassé ici le simple divertissement de fin d’année, même avec ses connotations satiriques.

 

Un tournant pessimiste

 

A partir de sa première comédie de fin d’année, en 1996, chacun des hesuipian de Feng Xiaogang était attendu avec curiosité et impatience, et établissait de nouveaux records au box-office. C’est encore le cas avec « A World Without Thieves » qui, lors de sa sortie en salles en Chine, n’a été surpassé en termes de recettes que par la superproduction de Zhang Yimou « Le Secret des poignards volants » (《十面埋伏》).

 

Cependant, bien que poursuivant la critique sociale typique du réalisateur, la comédie se fait ici grinçante et l’humour bien plus sombre.

 

La main ensanglantée de la séquence finale,

rendant son argent à Sha Gen endormi

Le train symbolique de Feng Xiaogang est un monde clos, sans échappatoire, où la morale ne veut plus rien dire, et où les voleurs n’ont même pas d’espoir de rédemption car leur âme même est si profondément gangrenée par le mal qu’ils ne peuvent échapper à leur destin. Etonnamment, c’est la paix du cœur offerte par le bouddhisme qui semble offrir la voie vers une possible rédemption, mais cette voie reste essentiellement illusoire, car fondée sur une foi précaire, coupée de la réalité du monde.

 

 

Bande annonce

 


 

Note complémentaire
Extraits de la présentation du film par Ji Qiaowei

 

- sur le scénario

 

Publiée en 1999, la nouvelle a été primée et a aussitôt attiré l’attention de plusieurs studios de cinéma qui ont voulu acheter les droits d’adaptation. C’est finalement le studio Emei (峨嵋电影制片厂), du Sichuan, qui a obtenu les droits et a fait écrire un premier scénario adapté de la nouvelle. Mais le film n’a pas pu être réalisé.

 

Feng Xiaogang a alors réussi à convaincre le studio de lui revendre les droits. On dit que ce serait la mère de Ge You [6] qui aurait parlé de la nouvelle à son fils, et Ge You en aurait ensuite discuté avec Feng Xiaogang.

 

Pour l’écriture du scénario, cependant, Zhao Benfu étant alors en visite officielle aux Etats-Unis, Feng Xiaogang a fait appel au scénariste et écrivain à succès Wang Gang (王刚) [7], qui avait déjà travaillé avec lui à la fin des années 1997, pour la

 

Wang Gang en 2004

 

Lin Lisheng

 

série télévisée « La face cachée de la lune » (《月亮背面》), et pour son premier hesuipian, « Dream Factory » (《甲方乙方》). Feng Xiaogang lui a adjoint en outre deux autres scénaristes, Lin Lisheng (林黎胜) [8] et Zhang Jialu (张家鲁) [9].

 

L’écriture a été longue et ardue : elle a duré près de trois ans. Wang Gang a raconté les difficultés qu’ils ont rencontrées. Il fallait ne vexer ni la police, ni le ministère des chemins de fer, encore moins choquer le bureau de la censure. Malgré les nombreuses révisions, le scénario a été rejeté par le bureau de censure et le projet du film a été mis en stand-by, jusqu'à l'avant-première du film « Téléphone mobile » (《手机》). Le bureau de la censure a alors décidé de donner une seconde chance au scénario, mais sous condition de révisions.

 

Finalement, pourtant, le scénario ne semble pas avoir autant souffert que d’autres dans des conditions analogues : il reste percutant.

 

Le rôle de Shagen est mis légèrement en retrait pour donner plus d’importance aux deux autres groupes de personnages, les deux « anges gardiens » et le clan des voleurs autour de l’Oncle Li. La ligne narrative a été dramatisée, avec une fin tragique pour le personnage de Wang Bo (alors que, dans la nouvelle, il était juste blessé d’un coup de couteau) et une recherche de rédemption bouddhiste pour celui de Wang Li [10] qui n’existait pas dans la nouvelle.

 

Mais le principal travail a été de créer des dialogues, quasiment inexistants dans la nouvelle, et là, le scénario fait feu de tout bois, avec des réparties qui deviendront des

 

Zhang Jialu en 2015

citations-cultes à la sortie du film. Chaque personnage a un ton et un accent qui lui est propre, ce qui donne une subtilité encore plus profonde aux caractères – et rend le sous-titrage souvent inadéquat, ce qui gêne la perception du film par un public non sinophone.

 

Cette capacité à créer des dialogues qui font mouche est l’une des caractéristiques qui contribuent au succès des comédies de Feng Xiaogang. A ce sujet, on peut se demander quel est l’apport exact du réalisateur et celui de ses scénaristes ; en tout état de cause, Wang Gang s’est plaint de ne jamais être cité par le réalisateur lors de ses interviews et présentations du film.

 

- Sur le tournage

 

Pour le tournage, Feng Xiaogang a loué à Pékin un terrain de plus de 8000 mètres carrés qui lui a coûté plus d’un million de yuan et fait construire un train qui lui a coûté un autre million de yuans et dans lequel ont été tournées les scènes en intérieur.

 

Les paysages extérieurs sont ceux du sud du Gansu. 

                  

A lire en complément

 

Les souvenirs de Wang Gang sur l’écriture du scénario (en chinois)

http://www.360doc.com/content/11/0114/20/1269970_86581563.shtml

                                                                                                               

 

[Analyse préparée pour la présentation du film à l’Institut Confucius de l’université Paris Diderot dans le cadre du cycle De l’écrit à l’écran]

 

 

 


[1] C’est-à-dire idiot jusque dans ses racines, fondamentalement idiot.

[3] Voir The Cinema of Feng Xiaogang, Rui Zhang, Hong Kong University Press 2008, p. 141-142.

[4] Et le box-office a suivi : le film a été un immense succès commercial, avec 100 000 yuans de recettes le soir de la sortie du film à Pékin, 80 millions au niveau national les dix premiers jours, et cent millions à la fin de l’année.

[5] Acteurs récurrents chez Johnnie To.

[6] Shi Wenxin (施文心), ancienne scénariste du Studio de Pékin.

[7] Auteur, en particulier, d’un roman publié l’année de sortie du film, en 2004, et primé en Chine continentale et à Taiwan, dans lequel il raconte ses souvenirs d’enfance au Xinjiang pendant la Révolution culturelle : « English » (《英格力士》).

[8] Un scénariste qui a étudié la théorie du cinéma à l’Institut du cinéma de Pékin, et qui est depuis lors passé à la réalisation.

[9] Scénariste, récemment, du film « de pilleurs de tombes »  « Mojin the Lost Legend » (《寻龙诀》).

[10] Qui correspond à une facette de la personnalité du réalisateur. Commentaire de Ji Qiaowei : le bouddhisme est présent dans beaucoup de ses films, et on le retrouve dans le personnage de Lao Pao’er (《老炮儿》) [qu’il incarne dans « Mr Six », le film de 2015 de Guang Hu (管虎)].

 

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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