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« L’amour sous l’aubépine » de Zhang Yimou : une romance
sans épines
par Brigitte
Duzan,
20 août 2010,
révisé 14 mai 2012
Rebaptisé
en français « L’amour sous l’aubépine », le film
porte le titre du roman dont il est adapté. (《山楂树之恋》).
Il est
longtemps resté un secret bien gardé, autour duquel
couraient bien des rumeurs. On avait fini par
l’appeler « le mystère de l’aubépine » ("山楂迷").
Jusqu’au
début du tournage, en avril 2010, dans le district
de Yichang, dans le Hubei, on savait juste qu’il
s’agissait d’une histoire d’amour pendant la
Révolution culturelle, et que le film était adapté
d’un best-seller de la romancière Ai Mi (艾米).
Il est
sorti en Chine le 16 septembre 2010, avant la date
initialement prévue, pour éviter une sortie début
octobre, en même temps que les grosses productions
prévues pour la Fête nationale. Le public s’est
précipité, pour voir la tête des nouveaux acteurs,
totalement inconnus, autour desquels avait été
soigneusement créé le suspense. Puis, sa
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L’amour sous
l’aubépine |
curiosité
satisfaite, il est allé voir les sorties du 1er
octobre…
Le scénario
Le roman d’Ai Mi |
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Le scénario
est effectivement adapté d’un roman d’Ai Mi, d’abord
diffusé sur internet où il a connu un succès
foudroyant, avant de devenir un succès de librairie,
en 2008. L’adaptation
est co- signée de l’écrivain et réalisatrice
Yin
Lichuan (尹丽川)
et du scénariste Gu Xiaobai (顾小白).
L’histoire
débute vers 1975, à la fin de la Révolution
culturelle. Jingqiu (静秋)
est une toute jeune étudiante, membre d’un groupe
“envoyé à la campagne” pour collecter des histoires
populaires traditionnelles. Elle arrive ainsi dans
le village de Xiping (西坪村)
où elle est
hébergée par le chef de village. Elle y fait la
connaissance d’un jeune garçon aussi sympathique que
compétent, membre d’une équipe de géologues qui fait
des recherches dans la région : Lao San (老三).
Jingqiu est complexée par ses « mauvaises origines
de classe » (ses parents étaient des propriétaires
terriens), |
mais Lao San lui
redonne confiance en elle. Ils tombent évidemment amoureux.
La mère de Jingqiu, cependant, n’est pas favorable à cette union :
Jingqiu est encore en période probatoire, en raison
de ses origines de classe ; il lui faut faire ses
preuves pendant encore une année avant de pouvoir
être nommée institutrice. Tout problème risquerait
de ruiner sa carrière et son avenir. C’est cela qui
inquiète sa mère, elle-même ancienne enseignante,
démise de ses fonctions et réduite à coller des
enveloppes avec ses enfants pour survivre.
Elle
convainc donc Lao San de s’effacer pour le bien de
Jingqiu. Finalement, cependant, Lao San étant tombé
malade, atteint par une leucémie foudroyante,
celle-ci ne le reverra que sur son lit de mort. Dans
une séquence aussi mélodramatique qu’improbable, il
lui jurera alors de l’attendre pour l’éternité…
Tout le
monde sait bien que
Zhang Yimou (张艺谋)
ne prend |
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Zhang Yimou présentant
le film
avec Dou Xiao |
en général
que la trame d’un récit et l’adapte à son gré ;
aucun des grands écrivains qu’il a adaptés – Su
Tong, Mo Yan ou autres - ne s’en est formalisé
jusqu’ici, reconnaissant aux films des qualités
cinématographiques indiscutables. Mais l’adaptation,
cette fois-ci, n’a pas été du goût d’Ai Mi qui a
lancé toute une polémique sur son blog, sur
internet, contestant les choix faits par Zhang
Yimou, l’accusant de n’avoir retenu que les aspects
les plus superficiels de son récit et critiquant, en
particulier, le choix des acteurs, totalement
inconnus et jouant pour la première fois au cinéma.
Les acteurs
Ce n’est
pourtant pas le choix des acteurs qui est le plus
contestable. Tout a été fait pour éviter l’écueil du
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L’équipe du film |
vedettariat, afin
de concentrer l’attention sur les qualités intrinsèques du
film, et en particulier la mise
L’actrice Zhou Dongyu |
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en scène et
la photo, points essentiels chez Zhang Yimou. Son
ami et producteur Zhang Weiping (张伟平)
l’a bien martelé lors d’un entretien diffusé sur
CCTV6, peu avant la sortie du film : ce ne sont pas
les acteurs qui sont le plus important, c’est le
réalisateur.
Les deux
acteurs principaux ont été choisis après une longue
et minutieuse recherche dans toutes les écoles de
Chine, et leurs noms ont été tenus secrets jusqu’au
dernier moment.
L’actrice
principale a 19 ans et s’appelle
Zhou Dongyu (周冬雨) ;
elle est originaire du Hebei, mais l’assistant de
Zhang Yimou l’a trouvée dans une |
L’acteur Dou Xiao |
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école de
danse de Nankin. Pour le réalisateur, elle avait la
grâce et la pureté requises pour le rôle. Quant à
l’acteur principal,
Dou Xiao (窦骁),
c’est un Chinois de 21 ans, originaire de Xi’an,
émigré au Canada à l’âge de dix ans, puis revenu à
Pékin pour entrer à l’Académie du Cinéma et y
apprendre le métier d’acteur. Ni l’un ni l’autre
n’étaient donc (encore) des acteurs professionnels.
Les autres acteurs, sont, eux, des professionnels,
connus et populaires ; citons
Li Xuejian
(李雪健),
un fidèle de Zhang Yimou qui a joué dans « Happy
Times », « Shanghai Triad », etc… , Sun Haiying (孙海英) ,
qui fut, par exemple, en 2005, l’époux de
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Joan
Chen dans le très
beau « Sunflower » (《向日葵》)
de
Zhang Yang (张扬)
ou encore Xi
Meijuan (奚美娟)
que
son rôle dans « The Joy Luck Club » a rendue très populaire.
Les rôles
secondaires apportaient donc la touche de vedettariat jugée
nécessaire pour attirer le public, mais le secret gardé sur
les deux premiers rôles a été tout aussi efficace. Ils sont
ensuite eux-mêmes devenus des vedettes, éclipsant les
autres.
Un mélo aseptisé
La
tentation est de comparer « Hawthorne tree » au film
précédent de Zhang Yimou :
« A
simple noodle story » (《三枪拍案惊奇》), renommé pour sa sortie aux Etats-Unis « A woman, a gun and a noodle
shop ». Certains critiques les ont opposés en
qualifiant « A simple noodle story » de ‘bassement
populaire’ (低俗)
et l’autre de ‘pur’ (清纯).
C’est ce caractère qui est souligné par le slogan
publicitaire du film, qui reprend celui du livre :
l’amour le plus |
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L’image du bonheur
insouciant |
pur de
l’histoire (“史上最纯净的爱情”).
Encore faut-il voir ce que cette « pureté » recouvre.
Zhang Weiping a
expliqué que « Noodle story » était pour eux un film
expérimental dans le domaine du film commercial ; il a
trouvé son public. Après cette expérience, il s’agissait
d’élargir l’expérience pour voir comment concilier les
exigences artistiques d’un film d’auteur, et celles d’un
film commercial, c’est-à-dire essentiellement faire un bon
film tout en assurant le retour sur investissement. Très
beau discours, certes, mais loin de la réalité pratique.
Avec un budget de 70 millions de yuans (environ 8,6 millions
d’euros), c’est le retour sur investissement qui a prévalu.
Dieu, que la vie était
belle à la campagne |
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Ce ne
serait pas si grave si le film avait au moins la
force visuelle des grands opus de Zhang Yimou. Il y
a de très belles images, signées Zhao Xiaoding (赵小丁)
(1), que l’on garde longtemps en mémoire, un pique
nique sous un arbre solitaire, une virée au bord de
la rivière par un bel après-midi ensoleillé… Mais
elles ne font que renforcer un aspect carte postale
qui est celui de l’œuvre entière.
Le film est
un mélo, sciemment et volontairement. Ce qui n’est
pas rédhibitoire, on connaît de très bons mélos, et
dans le cinéma chinois tout particulièrement. Mais
c’est un mélo traité sans nuances, et l’on comprend
la déception d’Ai Mi. |
Ce qui dérange bien
plus encore, cependant, c’est l’aseptisation de la
Révolution culturelle. Il y a dans ce film une imagerie
sulpicienne, les deux personnages baignant dans une sorte de
pureté originelle qui rappelle celle des saints de chez
nous. Et ils sont d’autant plus sanctifiés que la mort les
sépare.
La
Révolution culturelle est présentée comme une
période idyllique, celle de l’adolescence et de ses
premiers émois, baignant dans la lumière dorée du
souvenir. En ce sens, il se replace dans une lignée
de films et d’œuvres littéraires d’auteurs d’âge mûr
qui se remémorent avec émotion leur enfance ou leur
adolescence pendant la Révolution culturelle, avec
une charge émotionnelle qui prime sur les autres
souvenirs, le précurseur du genre étant sans doute
Jiang Wen (姜文)
et son merveilleux |
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Pure beauté des images |
« In the Heat of
the Sun » (《阳光灿烂的日子》),
en 1994.
Cependant, si Jiang
Wen a traité son sujet avec profondeur et humour, « L’amour
sous l’aubépine » a, lui, la mièvrerie du titre. Mais c’est
en outre une mièvrerie insidieuse, qui joue sur l’émotion
pour évacuer les questions épineuses. N’est conservée de
l’aubépine que la fleur toute blanche, pure, certes, mais
terriblement fade.
« L’amour sous
l’aubépine » rejoint le récent film de
Feng Xiaogang (冯小刚)
sur le tremblement de terre de Tangshan,
« Aftershock » (《唐山大地震》),
au panthéon des mélos enterrant l’Histoire.
Il faut, en
comparaison, revoir le chef d’œuvre de Zhang Yimou qu’est
« Vivre ! »
(《活着》) ,
sur la même période.
Bande annonce
(1) Zhao Xaoding (赵小丁)
a été le chef opérateur de nombreux films de Zhang Yimou
depuis « Le secret des poignards volants » (《十面埋伏》) en 2004, après avoir été, en 2002, l’assistant de Gao Fei (高飞)
pour « Spring Subway » (《开往春天的地铁》)
de
Zhang Yibai (张一白)
et cadreur pour
« Hero » (《英雄》).
Il a aussi signé la photo de nombreux films publicitaires,
pour les Jeux olympiques en 2008, et pour diverses campagnes
de grandes marques comme Armani ou Coca Cola.
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