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Ning Ying
宁瀛
Née en 1959
Présentation
par Brigitte
Duzan, 13 février 2013
Ning Ying a
connu la célébrité à partir de 1992 avec les films
qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler sa
« trilogie de Pékin ». En 2005, cependant, les
critiques comme le public n’ont pas apprécié la
liberté de ton de « Perpetual Motion ». L’échec du
film a valu quelques années de purgatoire à la
réalisatrice dont on espère que le film qu’elle est
en train de préparer pour 2013 finira par la sortir.
Le cinéma à
défaut de musique
Ning Ying (宁瀛)
est née en 1959, dans le Shaanxi.
Enfant,
elle se destinait à une carrière de violoniste, mais
celle-ci fut brisée dans l’œuf par une légère
déformation à un doigt. Le cinéma fut son choix par
défaut. Elle est entrée en 1978 à l’Institut du
cinéma de Pékin, à sa réouverture après la fin de la
Révolution culturelle. Elle fait donc partie de la
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Ning Ying en 2008 |
fameuse "cinquième
génération" de réalisateurs chinois, celle qui est sortie en
1982.
Inscrite dans la
section "ingénieur du son" parce que c’est ce qui lui
semblait correspondre le mieux à sa formation de musicienne,
Ning Ying est cependant restée un peu en marge de
l’institution, et en marge de ses pairs, choisissant un
parcours résolument différent. En 1982, en effet, elle
obtient une bourse pour aller étudier en Italie, au Centre
expérimental de Cinématographie, à Rome.
Formation en Italie
Elle découvre là
Visconti et Fellini, le néoréalisme italien et la Nouvelle
Vague française, en oublie le violon et se découvre une
soudaine passion pour le cinéma. En 1984, son professeur,
Gianni Amelio, la présente à Bernardo Bertolucci qui était
en train de préparer « Le dernier empereur ». Quand il
cherchera un assistant, c’est elle qu’il choisira.
En attendant, elle
rentre en Chine. Le pays vit une période d’intense
ébullition, surtout chez les jeunes intellectuels et dans
les milieux universitaires où ont lieu discussions et
remises en question du système ; les débats houleux
atteindront leur apogée en 1989 et leur brutale conclusion
en juin sur la place Tian’anmen.
Bien avant cette
date, Ning Ying est sollicitée par un producteur allemand
qui lui demande un documentaire sur l’activisme étudiant.
Elle part filmer les réunions et débats, en posant des
questions sur les grands problèmes en discussion, mais le
producteur repart en Allemagne sans donner suite au
projet... il montera ensuite les rushes, à sa manière et
sans rien lui demander, quand le mouvement pour la
démocratie aura pris de l’ampleur et sera devenu un sujet
brûlant d’actualité.
Ning Ying en garde
un souvenir amer. Heureusement, en 1987, elle va travailler
avec Bertolucci sur le tournage du « Dernier empereur ».
Elle lui sert d’interprète, fait pour lui des recherches,
des rapports, des interviews, et surtout il devient son
mentor, l’initie à certaines techniques, et lui confie des
secrets de tournage.
Difficiles débuts
en Chine
Après cette solide
formation hors des sentiers battus, mais ne trouvant rien à
faire en Chine, Ning Ying va offrir ses services à un
réalisateur qui lui propose un projet de film sur des
amateurs de l’opéra de Pékin. Elle ne se passionne guère
pour le sujet, mais n’a guère le temps de beaucoup
l’étudier : il est abandonné faute de financement.
Juin 1989 et les
événements de Tian’anmen la trouvent en panne de projet et
lui donnent envie de tout abandonner. Mais elle finit par
écouter la voix de la raison et accepte de se lancer dans la
réalisation d’un film commercial. Elle propose une comédie
qui sera l’un des grands succès du box office chinois en
1990 : « Quelqu’un est tombé amoureux de moi » (《有人偏偏爱上我》),
un remake de « Certains l'aiment chaud », le film de 1959 de
Billy Wilder avec Marilyn Monroe.
Le succès est un
piège : le studio lui propose aussitôt de tourner un second
film du même genre. Pour éviter l’écueil, elle ressort alors
le projet abandonné quelques années plus tôt sur les
amateurs d’opéra, et trouve en même temps un producteur
privé pour le financer. C’est ainsi qu’elle réussit, en
1992, à réaliser
« Jouer
pour le plaisir » (《找乐》), premier film que l’on
peut vraiment considérer comme sien.
La trilogie de
Pékin
Avec ce film, Ning
Ying affirme un style résolument original, et une réflexion
personnelle sur les conséquences des brutaux changements
sociopolitiques de la Chine post-maoïste sur la vie des
habitants de la capitale prise comme emblème du monde
urbain.
Ning Dai |
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« Jouer
pour le plaisir » est ensuite suivi de deux autres
films, en 1995 et 2001, formant ce qu’il est convenu
d’appeler « La trilogie de Pékin » (《北京三部曲》).
Ces trois
films ont pour cadre l’extraordinaire mutation qui a
transformé la capitale chinoise au cours des années
1990. Mais ce n’est qu’un cadre ; le sujet principal
est une réflexion sur les conséquences induites par
cette croissance urbaine sur la société, et surtout
sur la vie des habitants.
Cette
réflexion est menée dans les trois cas sous un angle
original, chacun des thèmes choisis reflétant un
aspect singulier de l’évolution des identités et des
mentalités individuelles. Ning Ying en a écrit les
scénarios avec sa sœur Ning
Dai (宁岱) ;
une bonne partie de la qualité de ses films tient
d’abord à celle des scénarios. |
1992 :
« Jouer
pour le plaisir »
(《找乐》) est un film sur la quête
d’une place dans la société et d’une identité
nouvelle par un vieil homme que sa mise à la
retraite a soudain marginalisé. C’est un film sur
l’importance des traditions culturelles (ici celles
des amateurs d’opéra de Pékin), mais aussi sur la
persistance des structures mentales héritées de la
période maoïste.
1995 :
« Ronde
de flics à Pékin »
(《民警故事》) montre la vie dans un
quartier ordinaire de la capitale à travers les
« rondes » du commissariat local. Le film est une
analyse des forces contradictoires qui brouillent
l’image traditionnelle des policiers, choisis comme
emblème d’une société prise entre les vestiges du
passé et les impératifs modernistes de l’Etat.
2001 :
« Un
taxi à Pékin » (《夏日暖样样》)
traduit la
perte
de repères
et les difficultés d’adaptation de la nouvelle |
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Jouer pour le plaisir |
Ronde de flics à Pékin |
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génération,
dans une ville en complète transformation vue d’un
taxi qui en arpente les artères.
Avec
« Jouer pour le plaisir », Ning Ying a opté pour un
style réaliste, mêlant intimement documentaire et
fiction, sans doute influencé par le néo-réalisme
italien et la Nouvelle Vague française, mais aussi
par André Bazin, tout en gardant une approche
subjective : elle ne prétend pas à une authenticité
absolue, mais plutôt à une vision de la réalité qui
est la sienne, et qu’elle articule en particulier au
montage.
Résolument
en marge des courants qui se développaient en même
temps en Chine dans le cinéma indépendant, dans la
mouvance de Zhang Yuan (张元), Ning
Ying participe cependant de la même recherche des
aspects de la vie courante occultés par le cinéma
officiel ; sa caméra s’intéresse aux petites gens de
la périphérie urbaine portés au |
pinacle
par les cinéastes de la sixième génération.
Sa trilogie
reste un document exceptionnel sur un moment de
transition socio-économique, structuré pour couvrir
trois générations. Du piéton au conducteur de taxi
en passant par le policier à vélo, Ning Ying se
place dans une perspective elle-même en évolution,
tout en restant masculine : la femme n’apparaît
qu’en ultime ressort, mais en position marginale. Le
point de vue féminin n’apparaîtra que plus tard dans
sa filmographie…
Après la
trilogie
Documentaires
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Un taxi à Pékin |
Délaissant la vie
urbaine pour tourner sa caméra vers le monde rural, Ning
Ying a ensuite tourné une série de documentaires qui sont
une autre facette de son talent.
Les deux premiers
sont sortis en 2001. « In our own words » (《让孩子们 自己说》),
est une suite de sept courts métrages où elle a recueilli
les témoignages de femmes et d’enfants évoquant leurs
difficultés à vivre dans la Chine du début du millénaire.
Le chemin de fer de
l’espoir |
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« Le
chemin de fer de l’espoir » (《希望之旅》),
ensuite, est d’abord le reflet d’une tranche de vie
d’une centaine de ruraux en route vers les champs de
coton de l’ouest de la Chine pour y participer à la
récolte, mais c’est aussi une intrusion subtile dans
leurs rêves et leurs espoirs. Sous l’œil de Ning
Ying, le réel est relayé et approfondi par
l’imaginaire, un imaginaire exprimé dans des images
symboliques, celle du train accélérant peu à peu en
quittant la gare, ou celle des passagers plongés
dans un profond sommeil d’où semblent émerger leurs
propos. Le film a obtenu le grand prix du Cinéma du
Réel en 2002. |
Ces documentaires
sont suivis, l’année suivante, d’un court métrage commandé
par l’Unicef :
« Looking for a job in the city ».
Il montre toute la finesse de l’art de Ning Ying, arrivant à
faire d’un petit court métrage à vocation pédagogique un
document plein de vie et d’humanité.
Perpetual Motion
Comme pour
reprendre une réflexion laissée inachevée à la fin
de la trilogie de Pékin, Ning Ying réalise ensuite
un film qui continue sa représentation de la vie
dans la capitale, mais vue, cette fois-ci, sous un
angle exclusivement féminin :
« Perpetual
Motion » (《无穷动》).
Ning Ying y
met en scène quatre femmes qui représentent, chacune
dans son domaine, de brillantes réussites
socio-économiques de la Chine moderne – en fait cinq
femmes, car aux quatre se rajoute la mère de l’une
d’elles, qui a eu aussi une carrière exceptionnelle.
Personnalités médiatiques, libérées des contraintes
sociales auxquelles sont traditionnellement soumises
les femmes chinoises, elles discutent ouvertement
devant la caméra de leur vie quotidienne, y compris
de leurs expériences sexuelles, en en plaisantant
allègrement. Chacune interprète son propre rôle. |
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Perpetual Motion, les
cinq femmes |
Présenté à la
Mostra de Venise en 2005, le film souleva aussitôt une vive
polémique. En Chine surtout, la liberté de ton des
dialogues, pourtant atténuée par la censure, en surprit
beaucoup. « Perpetual Motion » n’a pas connu le succès des
films précédents, ni celui qu’il mérite ; il est aujourd’hui
encore à découvrir.
Et maintenant…
Depuis 2005, Ning
Ying est affectée par la commercialisation à outrance du
cinéma chinois, les difficultés de diffusion et le
resserrement de la censure, et d’autant plus bridée dans ses
possibilités d’expression personnelle qu’elle refuse de se
couper de son public en optant pour l’indépendance. Elle
continue de tourner en espérant pouvoir un jour retrouver
des conditions favorables au plein épanouissement de son
talent.
On attend le film
qu’elle est en train de tourner et qui doit sortir en 2013…
Filmographie
(hors films
publicitaires)
1990 Quelqu’un est
tombé amoureux de moi 《有人偏偏爱上我》
(92’,
fiction)
1992
Jouer pour le plaisir《找乐》
(97’, fiction)
1995
Ronde de flics à Pékin《民警故事》
(102’,
fiction)
1996 Turin《都灵》
(12’,
documentaire)
2000
Un taxi à Pékin《夏日暖洋洋》
(80’,
fiction)
2001 In our
own words《让孩子们自己说》
(30’,
documentaire)
2001 Le chemin de
fer de l’espoir《希望之旅》
(52’,
documentaire)
2003 Looking
for a job in the city《进城打工》
(15’,
documentaire)
2005
Perpetual
Motion《无穷动》
(90’,
fiction)
2010 Double
Life (Face A, face B)
《A面B面》
(100’,
fiction)
2010 Kung Fu
Hero《功夫侠》
2010 Unworldly《天上人》
2010 (Le
temple du Ciel)
《天坛》
(2’, film
expérimental)
2013
To Live and Die in Ordos (《警察日记》)
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