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Zhang Nuanxin 张暖忻
1940-1995
Présentation
par Brigitte
Duzan, 17 janvier 2013
Réalisatrice classée parmi la « quatrième
génération », Zhang Nuanxin a joué un rôle de
premier plan au moment du renouveau du cinéma
chinois, au début des années 1980 : son travail
théorique a contribué à ouvrir les débats sur la
modernisation du langage cinématographique, et en
particulier parmi les grands réalisateurs de la
cinquième génération dont elle a été le professeur à
l’Institut du cinéma de Pékin.
Mais son
influence s’est aussi exercée par le biais de ses
propres réalisations, dont le nombre a
malheureusement été limité par sa disparition
précoce, en 1995.
Début de
carrière vite interrompu
Fille d’un
médecin, amateur et fin connaisseur de littérature
et d’arts, Zhang Nuanxin (张暖忻)
est née le 27 octobre 1940 |
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Zhang Nuanxin |
à Hochhot, en
Mongolie intérieure, comme son futur époux,
l’écrivain et
critique littéraire
Li
Tuo (李陀)
(1).
Ses parents
s’installent en 1943 à Pékin où Zhang Nuanxin fait ses
études. Elle fait du théâtre au
lycée et, en 1958, entre à
l’Institut du cinéma de Pékin, où elle étudie la mise en
scène et continue à enseigner après son diplôme de fin
d’études, en 1962.
Sa
carrière est cependant brutalement interrompue par la
Révolution culturelle. Elle est envoyée « se rééduquer » à
la campagne. Mais elle ne baisse pas les bras pour autant :
elle décide d’utiliser ses moments de libre pour apprendre
le français.
Le
français est pour elle le moyen de mieux connaître la
Nouvelle Vague. Elle se perfectionne en traduisant des
scénarios, dont un scénario de Truffaut : « L’histoire
d’Adèle H ». Puis, à la fin des années 1970, de retour à
Pékin, elle s’inscrit dans une école de langues, étonnant
son entourage, comme en a témoigné sa fille :
“我还记得1970年代末母亲翻译特吕弗的电影剧本来学习法语,以至我很小就知道有个‘新浪潮’,我还记得走前她要到语言学院去突击法语,冬天早早起来,四十几岁的人了却跟二三十岁的年轻人一起上课,换了我自己真不知道能否坚持下来。”
« Je me souviens
que, à la fin des années 1970, ma mère apprenait le français
en traduisant un scénario de Truffaut ; j’ai ainsi appris
très jeune l’existence d’une « nouvelle vague ». Je me
rappelle aussi qu’elle a voulu suivre des cours dans une
école de langues pour se perfectionner ; elle se levait très
tôt le matin pour y aller ; elle avait alors plus de
quarante ans, et se retrouvait en cours avec des jeunes de
vingt ou trente ans. Je ne savais pas moi-même s’il fallait
ou non l’encourager… »
Mais la Nouvelle
Vague française était pour elle un modèle, comme le
néo-réalisme italien. Il lui fallait d’abord bien la
comprendre avant de pouvoir s’en inspirer.
Réalisatrice et
théoricienne
Lors du tournage de
Chunmiao de Xie Jin,
en 1974 (Zhang Nuanxin
à droite) |
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Zhang
Nuanxin reprend quelques activités
cinématographiques à la fin de la Révolution
culturelle. Elle participe en effet au tournage de
deux films au studio de Shanghai, dont celui de
Xie Jin (谢晋)
sorti en 1975 : « Chunmiao » (《春苗》).
C’est
cependant après la chute de la Bande des Quatre
qu’elle retrouve son plein potentiel. Avec la
réouverture de l’Institut du cinéma de Pékin, en
1978, elle reprend ses cours dans son alma mater,
enseignant aux nouvelles promotions dont va sortir
la cinquième génération. Elle exerce
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alors une influence
déterminante tant sur la théorie que sur la réalisation
elle-même.
Apport théorique
fondamental
Au lendemain de la
Révolution culturelle, le cinéma chinois était exsangue. Les
années qui suivirent furent une période d’intenses débats
théoriques, qui commencèrent par une dénonciation de
l’influence démesurée exercée traditionnellement par le
théâtre sur un art qui n’arrivait pas à trouver son style
propre.
Le premier article
déterminant qui lança la controverse, publié début 1979,
appelait le cinéma à « jeter la béquille du théâtre ». Mais
celui qui fit l’effet d’une bombe dans le monde
cinématographique fut celui publié quelques mois plus tard
dans « Film Art » (《电影艺术》)
et signé de
Zhang Nuanxin et de son époux Li Tuo :
« De
la modernisation du langage cinématographique » (《谈电影语言的现代化》).
Li Tuo était un
écrivain qui faisait de son côté des recherches formelles et
stylistiques en littérature. Il est intéressant de voir les
deux époux se retrouver pour signer en commun un article de
fond invitant à dépasser les des formes cinématographiques
convenues et obsolètes et à rattraper un retard d’une
vingtaine d’années en cherchant un langage moderne qui
prenne en compte les progrès réalisés par les
cinématographies étrangères. C’était le résultat d’une
réflexion menée depuis de nombreuses années, mais qui
trouvait juste la liberté suffisante pour s’exprimer.
Les deux auteurs
soulignaient l’importance de la forme, opposée au contenu,
les modèles cités étant le néo-réalisme italien et la
Nouvelle Vague française. Pour Zhang Nuanxin et Li Tuo, en
littérature comme au cinéma, il fallait cesser d’utiliser
les vieilles ficelles du spectacle théâtral, reposant sur
des intrigues tournant autour d’un conflit central et de sa
résolution finale.
Tout en restant au
plus près de la vie, l’important devait être de ne pas se
limiter à capter la réalité extérieure, mais bien d’exprimer
la subjectivité de l’auteur, ses sentiments profonds, chose
qui avait été exclue et honnie par la vulgate maoïste.
L’article
fut la source d’une vive controverse, qui se
poursuivit par un débat sur les liens entre la
littérature et le cinéma. Cependant, lorsque Zhang
Nuanxin commença à mettre ses idées en pratique, les
critiques furent d’accord pour louer le résultat.
Réalisations
En 1978,
Zhang Nuanxin a d’abord écrit un scénario, avec Li
Tuo et Yao Shuping (姚蜀平) :
« Les bouleversements de la terre »
(《沧桑大地》).
Le film fut tourné au studio de Pékin par
Ling Zifeng (凌子风) et sortit en 1979 sous le
titre « Li Siguang »
(《李四光》) ;
c’est
l’histoire
d’un grand géologue chinois, spécialiste de la
tectonique des plaques, qui |
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Le premier scénario de
Zhang Nuanxin |
a beaucoup fait
pour développer la recherche pétrolière en Chine.
1. Zhang
Nuanxin réalise son premier film aussitôt après.
Sans doute en raison de l’intérêt suscité par son
article, elle est nommée à la direction du Studio
des films pour enfants rattaché à l’Institut du
cinéma de Pékin. C’est là qu’elle tourne
« Sha’ou »,
ou
« The Drive to Win » (《沙鸥》),
qui
sort en 1981.
Sha’ou,
c’est-à-dire la mouette, est le prénom d’une jeune
joueuse de volleyball qui décide d’arrêter les
compétitions et de se marier quand son médecin lui
annonce qu’elle deviendra paralysée si elle
continue. |
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Sha’ou |
Son fiancé ayant
été victime d’un accident, elle
revient dans un
fauteuil roulant diriger les entraînements
En tournage |
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de l’équipe
chinoise qui remporte la compétition mondiale de
volleyball féminin.
Le film
sortit après la victoire de l’équipe féminine
chinoise au championnat mondial en 1981, justement,
et cela contribua à son succès. Mais surtout, il est
extrêmement novateur en termes esthétiques et
stylistiques : filmé avec des acteurs non
professionnels, en extérieur, avec les sons naturels
(il a obtenu le prix du Coq d’or pour le son), il
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a un côté
documentaire, ou plutôt néo-réaliste, qui tranche sur le
réalisme révolutionnaire auquel le
cinéma
chinois avait été réduit depuis quarante ans.
« Sha’ou »
a valu à Zhang Nuanxin le prix spécial du Coq d’or
en 1982 (1982年金鸡奖导演特别奖).
Elle écrivit ensuite un long article, publié en
décembre 1983, pour expliquer comment le film avait
été réalisé : « "Sha’ou", du scénario au
film » (《沙鸥——从剧本到电影》).
Tranchant sur la rhétorique du héros,
« Sha’ou » devint ainsi une sorte de
modèle, une application directe de l’article
théorique de 1979. |
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Avec son directeur du
son recevant les prix du Coq d’or |
2. Mais le
film qui contribua le plus à la notoriété de la
réalisatrice fut son film suivant, sorti en 1985 :
« L’ode à la jeunesse » ou « Sacrificed
Youth » (《青春祭》).
Il est considéré par beaucoup comme l’un des films
les plus marquants de l’histoire du cinéma chinois
après « Printemps dans une petite ville » (《小城之春》)
de
Fei Mu (费穆).
En fait, Zhang Nuanxin apparaît, avec ce film, comme
l’héritière de Fei Mu, de son style poétique et de
son langage spécifique, à base de monologue
intériorisé. Mais elle va bien plus loin.
Adaptée
d’une nouvelle de la « littérature des cicatrices »
(2), l’histoire est celle d’une jeune Pékinoise
timide et peu communicative envoyée, pendant la
Révolution culturelle, dans un petit village de
l’ethnie dai, près du Laos. Elle s’y ouvre
peu à peu à la vie, en découvrant la beauté de la
nature, et la chaleur humaine des habitants.
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Sacrificed Youth |
Sur le tournage de
Sacrificed Youth |
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Le sujet a
été repris maintes fois au cinéma, mais Zhang
Nuanxin l’a traité de façon très personnelle, loin
de tout exotisme, en portant une attention toute
particulière à l’image et à la musique, et celle-ci
tout particulièrement, formidable, presque
hallucinante, signée Liu
Sola (刘索拉).
Le film a été
présenté en 1986 au Festival de Cannes, à la Quinzaine des
réalisateurs, et y a fait découvrir Zhang |
Nuanxin. Il lui
valut d’être invitée à Paris et de participer, en 1987, au
tournage à Shanghai du « Palanquin des larmes » de Jacques
Dorfmann.
Le film (avec
sous-titres chinois)
3. A son retour à
Pékin, en 1988, elle commence à écrire un nouveau scénario,
adapté d’un roman de Wang Shuo (王朔) : « Jouer, le cœur battant » (《玩的就是心跳》)
(3). Cela
aurait pu être l’équivalent des « Quatre cents coups » de
son cher Truffaut, mais le film n’a jamais vu le jour.
L’époque n’y était pas favorable.
Le film qu’elle
réalise ensuite est « Bonjour Pékin » (《北京,你早》), en 1990, avec Jia
Hongsheng (贾宏声),
l’acteur qui va jouer dix ans plus tard dans « Suzhou
River » (《苏州河》),
et le futur réalisateur
Wang Quan’an (王全安)
qui était encore étudiant à l’Institut du cinéma de Pékin.
A travers le prisme
d’une jeune femme, contrôleuse dans un bus à Pékin, et deux
de ses collègues et camarades, elle décrit, dans un style
proche du documentaire, une jeunesse déboussolée, dans un
monde qui change trop vite.
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Bonjour Pékin |
Sur le tournage de
Bonjour Pékin |
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Extrait
4. En 1993, elle
tourne un nouveau film dans une nationalité
« minoritaire » : « Une vie au Yunnan » (《云南故事》),
où elle
dépeint l’histoire d’une jeune Japonaise
qui a été abandonnée en Chine après la guerre ; elle
épouse l’officier chinois qui l’a sauvée du suicide, mais
celui-ci doit de ce fait quitter l’armée, et tous deux
partent vivre au Yunnan, dans un village reculé hani
(哈尼)
dont il est originaire ; mais celui-ci, malade, ne survit
pas au voyage et elle est obligée, par les coutumes locales,
d’épouser son beau-frère, finissant par trouver un bonheur
paisible dans sa nouvelle vie.
Elle ne reviendra
au Japon que quarante ans plus tard, pour une réunion avec
sa famille et ses anciens camarades de classe, avec lesquels
elle n’aura cependant plus rien en commun.
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Une vie au Yunnan |
Le film (avec
sous-titres anglais)
5. Zhang Nuanxin
envisage ensuite d’adapter une nouvelle de Chen Jiangong (陈建功),
mais abandonne le projet. En 1994, elle tourne « 1994 au sud
de la Chine » (《南中国1994》),
un film audacieux sur
les heurts et
malheurs d’une joint-venture sino-taiwanaise dans une zone
économique spéciale du sud de la Chine.
Ce sera son dernier
film. Atteinte d’un cancer, elle meurt le 28 mai 1995. Ses
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1994
au sud de la Chine |
funérailles ont
lieu le 3 juin, en présence
d’une foule de
cinéastes, d’écrivains et d’artistes venus lui rendre un
dernier hommage. Weng Zengqi (汪曾祺)
lui dédie
ces sentences parallèles :
“繁花此日成春祭,云水他乡梦白鸥。”
fánhuā cǐrì chéng chūnjì, yúnshuǐ tāxiāng mèng
báiōu
tant de fleurs en ce jour de printemps offertes en
sacrifice,
les nuées au loin voient passer en songe une
mouette blanche (4)
Notes
(1) Sur Li Tuo
voir :
www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Li_Tuo.htm
(2) Mouvement
littéraire qui s’est développé à la fin des années 1970,
pour témoigner des expériences vécues pendant la Révolution
culturelle. Voir :
www.chinese-shortstories.com/Reperes_historiques_
La_litterature_chinoise_au_vingtieme_siecle_80_2a.htm
(3) Sur Wang Shuo,
voir :
www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Wang_Shuo.htm
(4) Les deux sentences sont un
hommage aux deux premiers films de Zhang Nuanxin, et un jeu
de mots très subtil sur leurs titres : 沙鸥 sha’ou, la
mouette, et 青春祭 qīngchūn jì jeunesse sacrifiée.
Filmographie
1981
Sha’ou /
The Drive to Win
《沙鸥》
1985 Ode à la
jeunesse / Sacrificed Youth
《青春祭》
1991 Bonjour
Pékin / Good Morning, Beijing
《北京,你早》
1993 Une vie au
Yunnan / The Story of Yunnan
《云南故事》
1994 1994 au sud de
la Chine 《南中国1994》
A lire en
complément
Hommage de
Xie Fei
à la mort de la réalisatrice :
« En
souvenir de la réalisatrice Zhang Nuanxin »《怀念张暖忻导演》
Zhang Nuanxin / Li Tuo 张暖忻/李陀 : De la
modernisation du langage cinématographique
谈电影语言的现代化
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