|
« Gimme
Kudos », comédie satirique de Huang Jianxin produite par
Feng Xiaogang
par Brigitte Duzan, 4 avril 2017
Sorti en juin 2005, « Gimme Kudos » (《求求你,表扬我》)
est une comédie de
Huang Jianxin (黄建新)
qui devait initialement sortir fin 2004, et faire
partie des comédies de fin d’année s’inscrivant dans
le genre hesui pian
(贺岁片)
lancé par
Feng Xiaogang (冯小刚)
fin 1997 avec « Dream Factory » (《甲方乙方》).
En 2005, « Gimme Kudos » arrivait à l’apogée de la
vague du hesuipian, après une série de succès
s’achevant avec « A World without Thieves » (《天下无贼》)
l’année précédente.
La
référence à Feng Xiaogang est d’autant plus nette
qu’il a produit « Gimme Kudos »
.
Il a également interprété un petit rôle dans le film
précédent de Huang Jianxin « The Marriage
Certificate » (《谁说我不在乎》)
sorti en 2001, et Huang Jianxin a été le producteur
du film de Feng Xiaogang sorti la même année,
« Big
Shot’s Funeral » (《大腕》).
Les liens entre eux sont donc très étroits à
l’époque de la montée en puissance des comédies de
fin d’année dont Feng Xiaogang est resté le maître. |
|
Gimme Kudos et ses
cinq interprètes |
Par ailleurs, ironie plus qu’accidentelle, l’un de ses
premiers hesuipian
– « Sorry Baby » (《没完没了》)
- est cité au début de la nouvelle de Bei Bei (北北)
dont le film de Huang Jianxin est adapté : « Faites mon
éloge je vous prie » (《请你表扬》).
Sorti en 1999, ce film permet aussi de dater la nouvelle et
lui donne un contexte, celui du tout début des années 2000.
C’est également celui du film de Huang Jianxin que la
lecture de la nouvelle permet d’apprécier plus en profondeur
.
Le scénario du film
Primé au 8ème festival de Shanghai en juin 2005,
le scénario de « Gimme Kudos » est signé Huang Xin (黄欣)
et Yi Fan (一凡).
C’est celui d’une comédie satirique doucement ironique et
lorgnant, avec un clin d’œil tout aussi ironique, vers un
genre faussement policier. L’histoire se passe, sans la
nommer, dans la ville de Nankin.
Wang Zhiwen et Fan Wei
dans
les rôles de Gu Guoge
et Yang Hongqi |
|
Elle
débute tout de go par la visite inopinée, dans les
bureaux d’un journal de la ville, d’un ouvrier genre
mingong
du nom de Yang Hongqi (杨红旗).
Reçu par l’un des journalistes, Gu Guoge (古国歌),
il lui raconte comment, vers minuit le 24 février
précédent, jour de la Saint-Valentin, il a sauvé une
étudiante d’un viol en pleine rue. Il est venu
demander que le journal publie son exploit en
faisant son éloge, d’où le titre : s’il vous plaît,
faites mon éloge.
N’ayant pas de preuve, le journaliste ne peut rien
promettre. Sa réaction initiale est le doute, car,
|
ce jour de la Saint-Valentin, il pleuvait à verse, situation
peu propice à un viol sur un trottoir. Mais, poussé par Yang
Hongqi qui revient le harceler, il commence une enquête, qui
l’amène en premier lieu auprès de l’étudiante en cause,
Ouyang Hua (欧阳花).
Ce qui a pour première conséquence de rendre furieuse son
amie Miyi (米一),
une jeune femme flic au caractère impétueux qui commence à
le soupçonner et le suivre.
Par ailleurs, son enquête conduit Gu Guoge dans le village,
non loin de la ville, où habitent Yang Hongqi et son père.
Guoge est accueilli par le comité du village, secrétaire en
tête, mais la maison des Yang est la plus pauvre du village.
Dans l’intérieur sombre, le père est alité, mourant d’un
cancer, entouré des certificats attestant de ses mérites
passés affichés sur les murs : il a été travailleur modèle,
et c’est toute sa vie. C’est d’ailleurs la raison pour
laquelle son fils cherche à faire paraître son nom dans le
journal : pour exaucer le dernier vœu de son père et qu’il
meure en voyant son fils loué à son tour.
Mais Ouyang Hua ne l’entend pas de la même manière.
Déjà chahutée par les autres étudiants sur le
campus, elle n’a aucune envie de voir en plus son
nom associé à une affaire de viol, même ratée.
Fragile et complexée, elle est perturbée par cette
histoire, comme l’est Guoge, surtout après
l’arrestation d’un petit malfrat qui avoue avoir été
le violeur dérangé, le soir fatidique. Les faits
semblent être corroborés, mais Ouyang Hua le nie
toujours… |
|
Un ouvrier en quête de
« face », inexpressif et ambigu |
Après la mort du père, l’affaire se conclut sur un aveu
ambigu de Yang Hongqi tout aussi peu crédible que le reste.
Mais, finalement, à défaut de Guoge qui jette l’éponge et
démissionne, le rédacteur général écrit lui-même les
louanges de Yang Hongqi en hommage aux mânes de son père,
qu’il a lui-même connu des années auparavant, alors qu’il
était travailleur modèle…
Comparaison avec la nouvelle
Les scénaristes ont changé le caractère des principaux
personnages de la nouvelle et en ont ajouté d’autres. Cela
entraîne un changement dans la narration, qui, dans la
nouvelle, est plus basée sur la psychologie des personnages.
Dans le scénario, ceux-ci ont des caractères moins
approfondis, mais ils sont, dans le film, replacés dans un
environnement plus fouillé, plus vivant, qui traduit un
effort de réalisme, avec une intrigue dérivant vers un style
faussement policier qui donne un rythme.
Le film reprend la double thématique de la nouvelle,
ambiguïté de la notion de vérité et persistance du besoin de
« face » dans la société, et ajoute en contrepoint le poids
du passé dans les mentalités.
Personnages ajoutés
Liu Fan dans le rôle
du collègue Tan Wei |
|
Dans le film, Gu Guoge est doublé d’un jeune
collègue coureur de jupons, Tan Wei, qui apporte du
mouvement et de la gaieté. Par ailleurs, Ouyang Hua
est accompagnée de deux autres étudiantes avec
lesquelles elle forme une sorte de petit clan très
soudé comme on en voit dans beaucoup de films sur
les ados du même âge.
Quant au rédacteur en chef, il acquiert dans le film
une importance qu’il n’a pas dans la nouvelle, où il
se borne à pousser Guoge à poursuivre son enquête
car il sent que l’histoire de Yang Hongqi pourrait
donner un article capable de booster les ventes du
journal si elle s’avérait vraie. Dans le film, il se
trouve être un témoin du passé de Yang Shengli, qui
conserve |
précieusement sa photo sur une page jaunie du journal ; il
se rend à l’enterrement du vieil homme avec Guoge, et, à la
fin, c’est lui qui écrit l’article tant attendu, à la place
du journaliste.
Caractères différents
De même que les personnages supplémentaires apportent de la
vie et du mouvement avec des effets de réalisme accru, de
même les changements dans les caractères et le parcours des
personnages communs aux deux œuvres vont dans le même sens.
Cependant, en voulant donner plus de vie à ces personnages,
les scénaristes ont perdu les éléments du caractère de
chacun qui expliquaient mieux leur attitude et leurs
réactions.
Ainsi, de jeune étudiante un peu timorée, dont la seule et
grande ambition est de réussir un mariage qui la fasse
sortir de sa condition misérable de fille de chômeur dans le
sou, Ouyang Hua est devenue dans le film une ado à la
personnalité complexe et complexée, chahutée par les autres
étudiants, que l’histoire de Yang Hongqi vient perturber
plus encore et pousser à user de ses charmes. Elle est
beaucoup moins crédible que dans la nouvelle, jusqu’à frôler
l’inconsistance.
Quant à Guoge et son amie, ils sont très logiques
dans la nouvelle. Sous la plume de Bei Bei, Miyi (米衣)
est une étudiante qui passe son temps le nez dans
ses bouquins, et qui a fini par décrocher un poste
de doctorante dans la meilleure université de la
ville où vivent ses parents, ce qui lui a permis de
revenir vivre auprès d’eux. C’est la même université
que celle où étudie Ouyang Hua, ce qui en fait des
collègues. Dans le film, en revanche, c’est une
jeune femme flic au tempérament volcanique et à la
jalousie féroce dont c’est le métier de prendre les
suspects en chasse, comme elle le fait de Guoge
quand elle le soupçonne d’une liaison avec Ouyang
Hua. Elle a toujours le dessus sur Guoge, mais
différemment.
Le caractère de Guoge est moins bien défini dans le
film, il ne l’est même pratiquement pas. Dans la
nouvelle, c’est un jeune garçon décrit comme n’ayant
ni beaucoup de force d’âme ni d’ardeur dans les
études, qui a suivi Miyi quand elle |
|
Chen Hao dans le rôle
de
l’étudiante Ouyang Hua |
est venue vivre dans la ville de ses parents, en prenant le
premier job qu’il a trouvé, un job de journaliste de faits
divers, temporaire de surcroît, dans lequel il n’est pas
très à l’aise. Dans la nouvelle, donc, il n’est pas
inattendu qu’il laisse tomber ce travail, alors que, dans le
film, sa démission est bien plus surprenante.
Censure des exploits de Yang Shengli pendant le Grand Bond
en avant
Dans la nouvelle, l’article jauni, plié en quatre, que Yang
Shengli tire de dessous son oreiller est daté de l’année
1958, et précise ses exploits au moment du Grand Bond en
avant : un rendement fantastique battant tous les records,
comme usuel à l’époque. On sait aujourd’hui que c’est l’une
des causes qui ont précipité la Grande Famine, sujet
éminemment tabou.
L’article a donc été remplacé dans le film par une photo
souvenir prise avec celui qui est devenu rédacteur en chef
du journal. Cela crée donc un lien avec Yang Shengli, et
justifie qu’il vienne à l’enterrement avec Guoge, et écrive
ensuite l’article faisant l’éloge de son fils. Mais on a
perdu au passage un élément de satire.
Conclusion maladroite
Le clan de Ouyang Hua |
|
Ce qui a surtout été rajouté, dans le scénario,
c’est la fin, après la mort du père de Yang Hongqi.
Cela fait traîner le film en longueur là où la
nouvelle se concluait sur un constat ambigu de
vérité impossible à déterminer en toute objectivité,
au point que Bei Bei nous laissait avec le sentiment
de ne plus savoir qui croire et que croire. Les
séquences supplémentaires du film le tirent vers une
sorte d’irréalité romancée qui va à l’encontre de la
recherche de réalisme dans la satire qui est la
caractéristique de tout le film jusque-là. |
Si le film est globalement réussi (en omettant la séquence
finale), c’est surtout grâce aux trouvailles de la mise en
scène et au jeu des acteurs.
Un film globalement réussi…
Vérité et reconnaissance
Le film apparaît comme une comédie satirique à la
Pirandello, où la vérité est insaisissable et mouvante, en
fonction de ceux qui la disent et ceux qui tentent de
décrypter leurs dires. Une vérité, en outre, qui n’est pas
toujours bonne à dire, tant du point de vue des individus
que du pouvoir : la « vérité » de 1958 est une aberration
tragique de l’histoire que le pouvoir veut étouffer, et la
« vérité » de Yang Hongqi pourrait briser l’avenir de Ouyang
Hua. C’est tout le problème de la définition du vrai et de
la vérité dans un système qui en est le détenteur, voire le
créateur, dans son principe même. Mais il s’agit là d’un
problème philosophique qui dépasse largement les limites
posées par le film.
L’autre thème du film est le désir de « face »,
c’est-à-dire de reconnaissance sociale. Le problème
est posé en termes humoristiques qui se raillent de
la tradition, mais le duo père-fils montre bien la
profondeur de cette tradition.
Le travailleur modèle Yang Shengli est l’élément
peut-être le plus réussi du film, même – ou
peut-être surtout -dans son côté quelque peu
caricatural. C’est le « père la victoire »,
dirait-on chez nous, un vieux travailleur qui se
meurt paisiblement d’un cancer des poumons entouré
des papiers témoignant de sa |
|
Miao Pu dans le rôle
de Miyi
(dans une composition en diagonale où
la lumière est
centrale : c’est ce qu’on cherche) |
gloire passée. La reconnaissance, il l’a. Mais tout le monde
s’en moque éperdument, et le considère en fait comme un
survivant obsolète d’un passé absurde.
Son fils est un minable, mingong assigné aux petits
travaux sur les chantiers. Un minable comme son père l’était
sans doute, mais lui avait la gloire du travailleur modèle.
Aujourd’hui il n’y a plus de travailleurs modèles, les
travailleurs sont nus, ils ont leur salaire et c’est tout.
Alors ils sont obligés de s’inventer des histoires de héros
sauvant des étudiantes pour tenter d’avoir leur nom dans le
journal en remplacement des certificats de travailleur
modèle. La gloire des uns est finalement aussi factice que
celle des autres, mais une gloire factice est mieux que pas
de gloire du tout.
Humour et brio
C’est la mise en scène, et les petits détails pleins
d’humour, qui font passer les défauts du film - à
l’exception de l’ultime ajout qui apparaît comme un
compromis pour satisfaire les exigences du cinéma chinois,
un film ne pouvant se terminer sur une ambiguïté. « Gimme
Kudos » sacrifie aux clichés du genre en montrant un père
radieux de voir sa progéniture suivre ses traces.
|
Le vieux travailleur
modèle dans la lumière du passé |
|
Parmi les détails humoristiques qui peuvent passer inaperçu,
citons par exemple le jeu subtil sur le sens du prénom de
Yang Hongqi, prénom à la mode pendant la période maoïste, et
qui fait ici le pendant de celui de son père :
红旗
hóngqí
le drapeau rouge. Or ce drapeau rouge est réduit à un
T-shirt de la même couleur, accroché comme un symbole
dérisoire à l’arrière du vélo de son propriétaire. Symbole
aussi dérisoire que les certificats de bonne conduite collés
sur les murs chez son père, qui finissent en fumée avec lui.
L’une des trouvailles les plus réjouissantes est l’image du
travailleur modèle transformé en figure christique, nimbé
dans un faisceau de lumière poussiéreuse tombant de la
fenêtre derrière lui, et reposant sur un drap rouge qui est
une autre image allégorique du drapeau rouge. Son visage
émacié à la barbe blanche rappelle les images d’anachorètes
dans le désert, le désert n’étant autre, ici, que le passé.
Bonne interprétation
Yang Hongqi et son «
drapeau rouge » |
|
Dans ces conditions, c’est aux acteurs qu’il
revenait de donner à leurs personnages une
personnalité qui les rende crédibles. C’est vrai de
la plupart d’entre eux, et en particulier de
Fan Wei (范伟)
qui était au début des années 2000 un grand acteur
de xiangsheng, complice de
Zhao Benshan (赵本山)
et célèbre pour ses rôles dans les galas de fin
d’année sur CCTV. En même temps, il avait commencé
au cinéma en 2002, dans « Spring Subway » (《开往春天的地铁》)
de
Zhang Yibai (张一白),
et en |
2003 avait commencé à travailler avec Feng Xiaogang, dans
« Le portable » (《手机》).
Quant à Wang Zhiwen (王志文) dans le rôle de Gu Guoge, il
n’avait eu que des rôles secondaires jusque-là, mais son
interprétation du professeur Jiang (江老师)
dans « Together » (《和你在一起》)
de
Chen Kaige lui avait valu un prix
d’interprétation au festival des Cent Fleurs en 2002. Il
avait déjà joué dans le film précédent de Huang Jianxin,
« The Marriage Certificate » (《谁说我不在乎》),
sorti en 2001.
Signalons
Liao Fan (廖凡)
dans le rôle du collègue journaliste de Guoge, un acteur
aujourd’hui célèbre, mais qui commençait juste sa carrière.
Les cinq rôles principaux :
Gu Guoge 古国歌
Wang Zhiwen 王志文
Yang Hongqi 杨红旗 Fan Wei 范伟
Ouyang Hua 欧阳花 Chen Hao 陈好
Miyi 米一 Miao Pu 苗圃
Le collègue de Guoge Liao Fan 廖凡
Signalons enfin le travail sur la photographie, signée Yao
Xiaofeng (姚晓峰),
un chef opérateur né en 1969, diplômé de l’Institut du
cinéma de Pékin en 1991, qui a commencé sa carrière en 1997
avec la photo d’un film de Wang Rui (王瑞),
mais qui est resté relativement peu connu.
Fin d’une époque
« Gimme Kudos » marque l’apogée des grandes comédies de fin
d’année sous l’égide de Feng Xiaogang, c’est aussi le
dernier film personnel de Huang Jianxin. Sa réalisation
suivante,
« La
Fondation de la République » (《建国大业》),
en 2009, marque le début de sa collaboration avec Han
Sanping (韩三平),
dans un style d’hagiographie officielle auquel il apporte la
touche de réalisme qui caractérise ses films.
(recherche et analyse réalisées pour la présentation du film
dans le cadre du cycle ‘De l’écrit à l’écran’ à l’Institut
Confucius de l’université Paris Diderot)
|
|