« La
fondation d’une république » : la propagande est morte, vive
le divertissement !
par Brigitte Duzan,
20 avril 2009,
révisé 21 août 2012
« La
fondation d’une république », ou plus exactement
« la grande affaire de la fondation de la Chine
[populaire]» (《建国大业》)
a été réalisé par
Huang Jianxin (黄建新)
et co-réalisé et produit par Han Sanping, grand chef
du China Film group, dans le cadre des
commémorations officielles du 60ème
anniversaire de la fondation de la République
populaire (1).
Le
tournage a débuté le 2 février 2009 aux nouveaux
studios de Huairou, près de Pékin (2), puis parcouru
les lieux emblématiques de la montée en puissance du
pouvoir communiste, Pékin, Shanghai et Nankin. Le
film est sorti sur les écrans chinois quelques
semaines avant le jour de la fête nationale, le 1er
octobre 2009. Il est remarquable à trois égards :
-C’est une
grande superproduction officielle commémorative de
The Founding of a
Republic (affiche anglaise)
l’événement fondateur de la République populaire.
-C’est
un film emblématique qui opère une relecture des mythes
fondateurs de la République et en propose de nouvelles
images, plus ouvertes, plus jeunes, plus modernes.
-C’est
enfin un grand succès commercial, qui montre bien les
progrès faits par le Parti en matière de communication, ce
que l’on appelait autrefois la "propagande". Le terme
apparaît obsolète aujourd’hui, la preuve par le cinéma…
Un point de
vue original
Le film dans la presse
chinoise
Le
film relate la lutte pour le pouvoir entre
Nationalistes et Communistes entre 1945 et 1949,
mais le scénario est centré sur la création de la
Conférence politique consultative du peuple chinois
(ou
人民政协Rénmín Zhèngxié).
C’est en
septembre 1949, alors que le Parti communiste avait
établi son contrôle sur la majeure partie de la
Chine continentale, que fut organisée une Conférence
politique consultative (sur le modèle d’une
Conférence préalable qui avait été réunie en 1946
pour mener les négociations entre les Communistes et
le Guomingdang). Renommée Conférence politique
consultative populaire, celle convoquée en 1949
adopta un Programme commun qui servit de
constitution pendant les cinq années qui suivirent,
ainsi que l’hymne national, le drapeau et la
capitale de la nouvelle
République populaire dont
elle élit aussi le premier gouvernement. En 1954, une
nouvelle constitution
transféra
ses pouvoirs
au Congrès national du peuple.
Retracer
l’histoire de cette Conférence équivaut donc
effectivement à retracer les événements fondateurs
de la République populaire. Il ne s’agit cependant
pas d’un documentaire, mais bien d’une mise en scène
à grand spectacle. Le réalisateur a déclaré avoir
voulu s’éloigner des clichés stéréotypés, et décrire
les hommes politiques en cause comme des personnages
vivants et créatifs, dotés de personnalités propres.
Han Sanping devant une
affiche du film
Huang Jianxin
En
fait, le film s’annonce surtout comme une fête pour
le public populaire, qui se réjouira d’un casting
hors normes : les producteurs ont fait appel à une
noria de stars du cinéma chinois qui ont répondu,
dit-on, avec enthousiasme et accepté de jouer gratis
ou à prix cassés pour l’anniversaire « de la mère
patrie ». Du coup, le budget annoncé – 30 millions
de yuans, soit quelque 4,5 millions de dollars – est
en ligne avec l’austérité (relative) voulue en cette
période de crise, à comparer avec les budgets des
deux plus grands succès de l’année 2010 : 120
millions
de yuans pour
« Aftershock » et 150 millions pour « Let the
Bullets Fly » (3).
Un casting à faire courir les
foules
Commençons par les deux principaux protagonistes de
cette histoire : Mao Zedong et Chang Kai-shek. Le
premier est interprété par Tang Guoqiang
(唐国强),
qui est un sosie convaincant du président Mao dont
il a déjà tenu le rôle une douzaine de fois, et le
second par Zhang Guoli (张国立)
qui est
plutôt connu pour ses rôles d’empereur des Qing dans
les séries télévisées, mais qui, maquillage aidant,
apparaît aussi très ressemblant.
Tang Guoqiang dans le
rôle de Mao Zedong
Zhang Guoli (Chang
Kai-shek)
Les autres acteurs et
actrices ont été choisis pour les mêmes raisons,
soit parce qu’ils ont déjà interprété le rôle qui
leur est dévolu dans le film, et en représentent
donc une image presque emblématique, soit parce que
leur célébrité fait de leur apparition, parfois
fugitive, un clin d’œil supplémentaire au public.
Parmi les figures
emblématiques, citons :
-
Liu Jin
(刘劲)
dans le rôle de Zhou Enlai (周恩来) :
il a déjà joué ce rôle en 2005 dans le feuilleton
télévisé « Xian Xinghai » (《冼星海》)
aux côtés d’ailleurs de Tang Guoqiang (唐国强) interprétant
Mao, ainsi que dans « La Longue Marche » (《长征》)
en 2001, et dans « First of August » (《八月一日》)
en 2007 ;
- Wang
Wufu
(王伍福)dans le
rôle du général Zhu De (朱德),
rôle qu’il a déjà joué dans « La Longue Marche »
(voir ci-dessus), et, en 2005, dans « In the Taihang
mountains » (《太行山上》)
;
Liu Jin dans le rôle
de Zhou Enlai
- Vivian
Wu
(ou Wu Junmei
邬君梅)
en Soong Mei Ling, la femme de Chang Kai-shek,
reprend le rôle qu’elle a déjà interprété en 1997
dans « The Soong Sisters » (《宋家皇朝》)
aux côtés
de Maggie Cheung et Michelle Yeoh. Mais ici, c’est
une autre actrice, Xu Qing (许晴),
qui
interprète Soong Ching Ling, la sœur de Soong Mei
Ling qui épousa, elle, Sun Yat-sen.
Parmi les
célébrités qui apportent leur aura médiatique, il
n’y a que l’embarras du choix, mais certaines sont
plus couramment citées dans les médias chinois :
-
Jet
Li (李连杰)interprète
un amiral du Guomingdang, Chen Shaokuan (陈绍宽) qui
fut commandant en chef et ministre de la marine de
Chang Kai-shek, avant que celui-ci lui retire ses
titres et le force à la retraite ; il se rapprocha
des communistes et, en 1949, refusa de partir à
Taiwan. Après
Xu Qing dans le rôle
de Song Qingling
la
victoire des communistes, il fut nommé
vice-gouverneur de sa province natale, le Fujian, où
il se retira à la fin de sa vie. L’intervention de
Jet Li est réduite à trois phrases caractéristiques
du personnage :
-
« C’est un honneur de sacrifier sa vie pour la
patrie »
-
« Quoi, encore se battre ? Lutter contre des
Chinois ? Ne comptez pas sur moi ! »
- « Je
retire mon armure et retourne à la campagne, dans le
Fujian, jouir de ma retraite… »
- Hu
Jun (胡军) interprète
Gu Zhutong
(顾祝同)qui
s’enrôla en1912 dans
les rangs nationalistes, devint gouverneur de la
province du Jiangsu en 1937, commandant en chef de
l’armée nationalisteà
partir de 1946 et chef d’état major et ministre de
la défense de Chang Kai-shek en 1948. Hu Jun s’est
fait connaître en 1996 grâce à son interprétation de
l’officier de police dans
《东宫西宫》(« East
Palace, West
-
Wang
Xueqi (王学圻)
interprèteLi Zongren
(李宗仁),
chef d’état-major de Chang Kai-shek de 1943 à 1945
et vice-président, puis président de la République
chinoise après la démission du généralissime en
janvier 1949 ; il devint ensuite sympathisant
communiste et, avec le soutien de Zhou Enlai, alla
s’installer à Pékin en 1965. Wang Xueqi est un
acteur emblématique qui a beaucoup joué dans les
films de la 5ème génération, à commencer
par « La Terre jaune ».
- Chen
Kun
(陈坤),
l’acteur de “Balzac et la petite tailleuse
chinoise”,interprète
Jiang Jingguo ou Chiang Ching Kuo
Hu Jun en Gu Zhutong
(蒋经国),
le fils du généralissime.
Il y a
aussi dans le film une pléiade de réalisateurs dans
des rôles inattendus :
-
Feng
Xiaogang
(冯小刚)
joue le rôle de
Du Yuesheng (杜月笙),
célèbre membre du gang shanghaien de la « Bande
Verte » (青帮),
dans les années 1925-1937, qui aida Chang Kai-shek à
contrôler Shanghai et à financer ses opérations
militaires ; c’est lui qui a inspiré le personnage
central du film injustement méconnu de
Zhang Yimou
« Shanghai Triad » (《摇啊摇,摇到外婆桥》).
-
Chen Kaige interprète le légendaire général
Feng Yuxiang (冯玉祥),
acteur important des cliques du Nord dans les années
20 et 30, et de la résistance contre le Japon. Il y
a encore
Jiang Wen (姜文),
Chen Daoming (陈道明 :
l’empereur Qin Shihuangdi dans
« Hero » de
Zhang
Yimou),
etc…
Wang Xueqi en Li
Zongren
Bande annonce
Une subtile
entreprise de relecture des mythes
Jiang Wen et Chen
Daoming
Avec le
recul, « La
fondation d’une république » apparaît comme un film
clé pour la communication politique chinoise en ce
début de millénaire : il opère une relecture des
grands mythes du Parti et une reconfiguration de
l’image des grandes figures historiques, Mao Zedong
en premier lieu (4), tout en introduisant des
personnages fictionnels qui ajoutent des messages
complémentaires ; le scénario se libère des manuels
d’histoire.
Le film présente
les grands personnages historiques de l’époque considérée en
brisant les stéréotypes qui en faisaient des être parfaits,
pour mettre en évidence leurs sentiments, leurs tourments
intérieurs. Même les perdants, dans l’histoire, présentent
un caractère d’une certaine complexité.
Tout est fait pour
d’abord distraire et divertir. D’ailleurs le film a été un
incroyable succès commercial pour ce qu’on appelait encore
il y a peu « film de propagande ».
Dans le deuxième
numéro de 2012 de China Perspectives, Sebastian Veg a
analysé ce film en profondeur, ainsi que celui qui peut en
être considéré comme le pendant :
« La
fondation du Parti » ou
« Beginning of the Great
Revival » (《建党伟业》),
qui couvre la période 1911/1921, entre la Révolution de 1911
et la fondation du Parti communiste chinois. Il en a fait
ressortir l’importance du point de vue cinématographique,
mais aussi du point de vue politique. C’est une analyse
fondamentale pour ces deux films.
Le film
A lire en complément
Une analyse de l’article de Sebastian Veg :
Progaganda and Pastiche,
in China Perspectives, 2012-2, Special Feature : Mao today,
a Political Icon for an Age of Prosperity, p. 41-53…
Notes
(1)Le
DVD est à la médiathèque du Centre culturel de Chine à
Paris.
(2) Les
studios de Huairou (怀柔影视城),
inaugurés en août 2009, dans la banlieue Nord de Pékin, sont
les plus grands d’Asie, couvrant tous les aspects de la
production et post-production. C’est un concurrent
redoutable pour les studios Hengdian (横店影视城),
dans le Zhejiang. De grands noms de la production
internationale y ont déjà installé des bureaux, comme Huayi
Brothers ou Rosem Films.
(3) A comparer aussi avec les
recettes respectives : 420 millions de yuans pour « La
fondation d’une République », contre 670 millions pour «
Aftershock » et 730 millions pour le film de Jiang Wen. Ce
qui, en termes de retour sur investissement, fait du film de
Huang Jianxin/Han Sanping un succès inégalé – mais à
relativiser étant donné que les acteurs n’ont pas été
rémunérés et que les salles ont été monopolisées à la sortie
du film.
(4) Sa ballade
romantique dans la neige avec son amour de jeunesse Yang
Kaihui restera une séquence totalement inhabituelle pour ce
genre de film.