« L’ombre
enchanteresse » : les subtilités du Liaozhai mises en images
Li Han-hsiang
par Brigitte Duzan,
11
décembre 2015
« L’ombre enchanteresse » (《倩女幽魂》) :
on ne pouvait trouver titre plus adéquat pour rendre
la subtile beauté de l’adaptation par
Li Han-hsiang (李翰祥)
d’un conte lui-même infiniment subtil de Pu Songling
(蒲松龄) :
« Nie Xiaoqian » (《
聂小倩》),
tiré du second volume de ses « Contes du Liaozhai »
ou « Chroniques de l’étrange » (《
聊斋志异》)
[1].
« L’ombre
enchanteresse » est l’œuvre d’un cinéaste en
parfaite symbiose avec l’œuvre et l’univers de Pu
Songling, le titre même du film étant un
développement de celui du conte, dans le même esprit
[2].
L’un des contes les plus représentatifs du Liaozhai
L’univers de l’étrange selon Pu Songling
Les contes
de Pu Songling sont l’œuvre d’un lettré s’adressant
à ses pairs, dans une langue classique maniée avec
une maîtrise, une poésie et un raffinement extrêmes,
créant au fil des
Enchanting Shadow
pages un univers personnel
empreint d’une atmosphère d’étrangeté qui n’a rien du
fantastique effrayant que l’on trouve habituellement dans ce
genre de conte
[3].
L’étrange, chez lui, relève non tant du surnaturel quede
l’insolite ; en tant que tel, on peut le trouver dans la
nature, à sa porte, il fait partie du quotidien. Un
quotidien intemporel.
Né en 1640, à la
veille de la chute de la dynastie des Ming, Pu Songling
était un de ces lettrés ratés dont le système des examens
impériaux a fabriqué d’innombrables contingents. D’échec en
échec, cela pouvait donner des inadaptés sociaux au destin
parfois tragique
[4].
Mais la plupart finissaient par abandonner toute idée de
carrière mandarinale, et vivaient des existences obscures et
sans histoires, très souvent au service de familles
fortunées.
Et, sortant du lot, certains en profitaient pour écrire,
dans une retraite loin du monde, comme les lettrés
d’autrefois en rupture de poste à la cour, comme Pu Songling
et beaucoup d’autres en son temps. Ils écrivaient pour eux
et leur petit cercle d’amis, des histoires qui les
délivraient de l’ennui, et surtout de leurs frustrations. Le
conte fantastique était un genre à la mode, il convenait
parfaitement à leur besoin d’évasion.
Mais, sous leur
plume, et en particulier celle de Pu Songling, le conte
fantastique n’est plus le chuanqi populaire, héritier
de la longue tradition du xiaoshuo des conteurs
[5].
Il devient un genre poétique raffiné puisant dans la
concision de la langue classique l’expression allusive
idéale pour décrire un monde parallèle peuplé d’esprits
désincarnés venant troubler l’ordre banal du quotidien, mais
pour lui apporter la dose de poésie et de chaleur affective
qui lui manque plutôt que pour le menacer.
Nie Xiaoqian
« Nie Xiaoqian » est caractéristique du style allusif et en
même temps très précis des contes de Pu Songling : aucun
détail superflu, mais ceux qui sont donnés ont une
signification à ne pas négliger.
Ainsi, au tout début, Pu Songling nous présente un voyageur,
en 21 caractères :
宁采臣,浙人。性慷爽,廉隅自重。每对人言:“生平无二色。”
Ning Caichen, du Zhejiang, était un brave garçon d’une
honnêteté irréprochable qui répétait à l’envi : « un amour
suffit à une existence. »
Il s’arrête pour la nuit dans un monastère, comme toujours
dans ce genre d’histoire, et Pu Songling nous livre à
nouveau une description en quelques caractères :
寺中殿塔壮丽;然蓬蒿没人,似绝行踪。..
La salle principale et la pagode étaient somptueusement
décorées ; mais, envahies par des herbes, on n’y décelait
aucune trace de présence humaine….
Lieu désolé, donc, dont Pu Songling nous décrit la beauté en
quelque caractères supplémentaires, le cadre étant important
pour la suite de son récit : un bosquet de bambous, un étang
avec des nénuphars. Lieu désolé, sans doute, mais dont le
calme enchante le nouvel arrivant.
On apprend alors, toujours en quelques caractères, et
indirectement, la raison de son voyage :
会学使按临,城舍价昂,思便留止,遂散步以待僧归。
La date des épreuves approchant, le prix des logements en
ville avait grimpé, il jugea donc préférable de rester là et
alla faire un tour en attendant que reviennent les moines.
Le décor est posé : un jeune lettré, honnête mais sans un
sou, est venu à la préfecture passer une épreuve des examens
mandarinaux et se prépare à passer la nuit dans un petit
monastère abandonné, en attendant le jour de l’examen. Sur
quoi, à la tombée de la nuit, il rencontre un autre
voyageur, dont l’accent révèle qu’il n’est pas de la
province et dit s’appeler Yan Chi-ching. Ils bavardent un
moment et se séparent pour dormir.
Luttant pour trouver le sommeil, Ning Caichen est tiré de sa
somnolence par des bruits de voix : ce sont deux femmes,
bientôt rejointes par une troisième, du nom de Nie Xiaoqian…
qu’il voit avec surprise un instant plus tard apparaître
devant lui et lui proposer de passer la nuit avec lui, ce
que refuse avec indignation le jeune lettré dont on sait
depuis sa description introductive qu’il est honnête et
droit jusqu’au bout des ongles. Il rejette même le lingot
d’or qu’elle veut lui laisser en partant.
Le lendemain arrive un autre lettré qui vient passer les
examens. Il meurt dans la nuit, son valet la nuit suivante,
tous deux avec pour seule marque un petit trou sanguinolent
sous le pied… Le voyageur inconnu soupçonne l’œuvre d’un
esprit maléfique… ce que confirme illico, le soir même, la
jeune Nie Xiaoqian à Ning Caichen dont elle admire la force
d’âme…
Ce n’est que l’introduction du conte. Tous les détails sont
en place. La jeune Nie Xiaoqian, émue par le jeune lettré,
lui avoue ensuite être morte accidentellement à dix-huit
ans, et être sous la coupe d’une démone qui la contraint à
séduire les hommes de passage, et se nourrit de leur sang
pendant qu’elle couche avec eux. Comme elle va revenir se
venger de Caichen qui lui a échappé, Xiaoqian lui recommande
d’aller partager la chambre de Yan car il a des pouvoirs
magiques. Quant à elle, elle lui serait reconnaissante
d’aller enterrer ses os dans son village pour qu’elle puisse
trouver le repos, en allant les chercher dans sa tombe,
« près du tremble sur lequel est un nid de corbeaux ».
Le reste de la nouvelle décrit les différentes tentatives de
la démone pour s’emparer de Caichen, déjouées par Yan.
Pendant ce temps, l’amour de Caichen et Xiaoqian croît de
jour en jour, et, quand Caichen parvient à lui donner
sépulture convenable, elle revient pour le remercier avec
effusion. La femme de Caichen étant malade, elle se
précipite pour s’occuper de sa mère, finit par s’installer
dans la maison en remplissant les devoirs d’une bru. Quand
la femme de Caichen meurt, sa mère accepte de le voir
épouser une revenante si charmante. Après s’être
définitivement libérés du démon, ils mènent ensemble une vie
paisible, unis dans le même amour de la poésie et de la
peinture. Xiaoqian lui donnera un fils, comme chacune des
deux concubines qu’il prendra ensuite, et les trois garçons
feront, dit Pu Songling pour terminer, de brillantes
carrières.
La nouvelle est
donc bâtie sur cette double trame narrative : les différents
combats contre la démone, vaincue par les pouvoirs magiques
de Yan, comme dans une histoire de wuxia, et la vie
des deux amoureux, comme dans un récit d’amours entre
caizi et jiaren, du genre populaire « canards
mandarins et papillons ». Il y a donc un effet subtil de
pastiche qui passe cependant inaperçu car le récit est écrit
dans un style si raffiné qu’on est captivé par la pure
beauté du texte. C’est ce subtil mélange de thèmes
populaires et d’expression recherchée qui fait des contes de
Pu Songling des joyaux de la langue classique, et c’est
particulièrement vrai pour « Nie Xiaoqian » qui en est l’un
des plus célèbres, et l’un des plus souvent adaptés au
cinéma
[6].
« Ombre enchanteresse » répond en termes cinématographiques
au style sobre et raffiné du conte, en partant d’un scénario
légèrement remanié, mais en restant parfaitement fidèle à
l’esprit de la nouvelle et à l’univers propre à Pu Songling.
Scénario légèrement remanié
La nouvelle débutait par un trait propre à
l’obsession de Pu Songling pour les examens
mandarinaux, faisant de son personnage principal un
candidat se retrouvant forcé de se loger dans un
monastère abandonné parce que l’afflux de candidats
dans la préfecture où doivent avoir lieu les
épreuves a fait grimper les prix et qu’il ne peut
pas se payer une chambre en ville.
Caichen découvrant
Xiaoqian jouant du guzheng
La scénariste de
Li Han-hsiang, Wang
Yue-ting (王月汀),
a opté pour un contexte plus général faisant intervenir les
troubles de la fin des Ming qui est le cadre historique de
l’histoire. Ning Caicheng est ici un fonctionnaire qui
voyage dans un empire plongé dans le chaos, alors que les
Qing ravagent le pays ; il est collecteur d’impôts et on le
voit brièvement remplir sa fonction, son calepin à la main.
Et s’il s’arrête dans un monastère abandonné, ce n’est plus
parce que les prix des logements en ville les ont rendus
inabordables pour sa bourse, mais parce que la ville et les
environs sont pleins de réfugiés, de soldats et de voyageurs
de toutes sorteset que toutes les chambres sont pleines. On
peut même déduire l’époque des dialogues.
L’entrée du monastère
Autre
différence, Ning Caicheng s’arrête dans le monastère
bien qu’on l’ait prévenu qu’il est hanté. Il doit
même payer une somme exorbitante pour qu’on l’y
conduise car personne ne veut y aller. L’atmosphère
n’est donc pas la même que dans le conte, où le
monastère, bien qu’abandonné, apparaît comme un lieu
agréablement calme, qui ne donne au départ aucune
raison d’inquiétude. Dans le film, une sensation de
malaise est distillée dès le début
[7].
En outre, comme dans le conte, Ning Caicheng
découvre bientôt qu’il n’est pas seul dans le
monastère,
mais le personnage qu’il y rencontre est légèrement
différent, plus mystérieux : c’est une sorte de sage, ermite
taoïste, maître d’arts martiaux à ses heures, étonné de
l’arrivée du jeune homme, mais plutôt accueillant, et qui se
dit se nommer Yan Chixia (燕赤霞).
Il n’est pas lui non plus hostile aux esprits et fantômes,
il a appris à vivre avec. Le film ajoute ici des dialogues
qui ajoutent des précisions sur le cadre historique et le
caractère des personnages. Ils discutent de la situation du
pays, et chacun explique pourquoi il n’est pas sous les
drapeaux en train de se battre contre l’envahisseur, l’un
par piété filiale pour sa mère, l’autre parce qu’il s’est
éloigné du monde par désillusion. Le sujet des fantômes ne
suscite qu’un haussement d’épaule de la part du taoïste :
s’il y en a, ils sont probablement plus honorables que les
hommes. Donc, à nouveau, refus de jouer sur l’effroi né du
surnaturel.
La suite du scénario n’apporte que des différences
mineures dans le détail de la lutte contre la démone
Lao Lao (老妖姥姥),
en restant dans le cadre d’une lutte à base de
magie, dans l’esprit des récits de wuxia,
comme le conte. Le grand changement provient du
recentrage du scénario sur le monastère, en
supprimant le contexte familial de Ning Caicheng,
qui permettait à Pu Songling de montrer un monde de
revenants parfaitement intégré dans la vie
quotidienne. Ceci répond à un souci de suppression
des détails liés à une époque et une mentalité,
comme a été supprimée au début la référence aux
examens
La pagode
mandarinaux,
pour donner au film un contexte plus universel.
Discussion (il est
difficile de trouver
un véritable ami dans
la vie)
Le film y
gagne en homogénéité, mais la scénariste a été
obligée de couper aussi la conclusion, très
confucéenne du conte (même si c’est satirique) ; du
coup la fin du film paraît un peu abrupte, mais elle
correspond bien à l’esprit poétique de l’ensemble –
fondé sur l’allusion au sens le plus classique.
C’est la grande différence qui distingue le film de
Li Han-hsiang des
adaptations ultérieures de la même nouvelle
[8],
et en particulier celle de 1987 de Ching
Siu-Tung (程小东)qui
lui est souvent comparée, mais qui est faite dans un
style diamétralement opposé de film d’épouvante bien
que portant le même titre chinois
[9].
Ce ton poétique un peu hors du monde est renforcé par la
mise en scène et les détails de la direction artistique.
Raffinement et poésie
Dès l’abord, le monastère diffuse une impression
vaguement inquiétante, mais que
Li Han-hsiang se
garde bien d’accentuer : il distille son atmosphère
à petites doses. Quand Ning Caicheng découvre le
groupe de femmes qui se promène, la nuit, l’une
d’elles captive son intérêt par les morceaux qu’elle
joue sur son guzheng, ses peintures et les poèmes
qu’elle écrit. Un soir, il s’introduit chez elle et,
après un premier accueil offusqué, l’aide à en
terminer un – ces séquences sont mises en scène avec
réalisme et entrain : rien ne suggère un monde
parallèle de fantômes.
Rare scène avec effets
spéciaux
L’entrée du monde des
revenantes
C’est peu à peu que l’atmosphère devient plus
tendue, au fur et à mesure que se multiplient les
signes d’étrangeté de ce monde parallèle : toiles
d’araignées, poussière, meubles croulant de vétusté,
et l’air même, chargé d’une sorte de brume irréelle.
Le monastère donne vraiment une impression de
décadence et de ruine, mais qui est aussi celle de
l’époque : la fin des Ming. Il y a toujours chez
Li Han-hsiang une
recherche de réalisme, même dans les films où on
l’attendrait le moins. Son monastère est étrange, il
n’est pas surnaturel, il n’y a donc pas l’effroi qui
lui est lié dans les films fantastiques.
Le style du film, réflexif, correspond parfaitement
à l’atmosphère malgré tout paisible du conte :
l’ambiance est celle d’un quotidien ruiné par la
guerre, mais transcendé par la peinture, la musique
et la poésie. Et cette atmosphère est incarnée par
les acteurs eux-mêmes, en parfaite symbiose avec
l’univers de Pu Songling.
Une brillante interprétation
Le film est dominé par la grâce évanescente de
Betty Loh Ti (樂蒂
/乐蒂),
superbe dans sa tristesse de revenante interdite
d’amour humain,
Enchanteresse Betty
Loh Ti
jalouse des couples de canards qui vivent tranquillement
dans le petit étang aux nénuphars. C’est l’une
Tang Ruoqing dans le
rôle de Lao Lao
des grandes actrices que
Li Han-hsiang
contribuera à rendre célèbres. Tous ses films sont
en fait des œuvres centrées autour d’actrices
d’exception.
Aux côtés de l’actrice, l’esprit démoniaque de
Laolao (姥姥)
est incarné par une autre grande actrice de
l’époque, dans un registre différent,
Tong Yeuk-ching ou
Tang Ruoqing (唐若菁),
grande actrice de théâtre huaju qui a débuté
avec son père au théâtre à Shanghai et a commencé sa
carrière au cinéma à Hong Kong en 1948 en
interprétant le rôle de l’impératrice
reprendra à diverses reprises. La voir interpréter
Laolao donne a posteriori un contexte ironique à ses
rôles d’impératrice douairière.
Face à elles,
Zhao Lei (赵雷) a
un rôle un peu effacé, comme le veut l’original de
Pu Songling : droit et honnête, ce qui lui permet
de survivre. C’est un grand acteur de la Shaw
Brothers, qui jouait déjà dans le premier film de
Li Han-hsiang
produit par ce qui était encore la Shaw & Sons, en
1956 : « Beyond the Blue Horizon » (《水仙》).
Il jouera ensuite dans plusieurs autres films avec
Betty Loh Ti.
Enfin,
Yang Chi-ching (杨志卿)
dans le rôle de Yan Chixia (燕赤霞),
taoïste retiré du monde, expert en arts martiaux,
est effectivement un acteur de wuxia, mais
toujours dans des
Zhao Lei dans le rôle
de Ning Caichen
rôles secondaires ; il jouera en particulier dans
« One-armed Swordsman » (《独臂刀》)
et
Le seul choix des acteurs est donc un clin d’œil à
d’autres rôles, qui viennent en contrepoint de leurs
rôles dans ce film.
Musique, lumière et couleurs
Comme l’ensemble des films de
Li Han-hsiang,
« Enchanting Shadow » est une réussite au niveau
purement visuel, le souci du détail, dans la mise en
scène et les décors, venant renforcer la splendeur
des costumes qui est une constante chez lui. Il a en
outre ajouté un véritable thème musical, comme tiré
d’un de ces opéras huangmeidiao qu’il a
contribué à ériger en genre à part entière à Hong
Kong et à Taiwan. Le poème des canards mandarins mis
en musique, justement, comme un air d’opéra
huangmei, est l’une des plus belles réussites du
film, en en renforçant la qualité littéraire et la
tonalité nostalgique.
Effets de lumière
suggérant le surnaturel
Li Han-hsiang a également joué sur les effets de
lumière, alternant lumières vives du monde des humains et
brumes bleutées annonçant celui des revenantes. Les couleurs
sont particulièrement belles : c’est un film tourné en
Eastman colour !
Il annonce « The Love Eterne » (《梁山伯与祝英台》)
qui sera un grand chef-d’œuvre trois ans plus tard, avec une
formidable
Betty Loh Ti face à Ivy Ling Po…
Enchanting Shadow, Bande annonce
Note complémentaire :
Les influences possibles, mais lointaines
Les films d’horreur de la Hammer
On a dit que, dans la conception de « Enchanting Shadow »,
Li Han-hsiang avait été influencé par le style
des films d’horreur de la compagnie Hammer sortis en 1958 et
1959, « The Horror of Dracula » et « The Curse of
Frankenstein ». Mais on ne trouve rien dans son film de
l’épouvante suscitée par la mise en scène sanguinolente, les
cris de terreur et les effets spéciaux deces deux films.
S’il y a une utilisation similaire du brouillard, de la
couleur, du tonnerre et des éclairs, chez
Li Han-hsiang, ni cris ni flots de sang, juste
une petite blessure au pied de la taille de la pointe d’une
aiguille, par laquelle s’écoulent quelques gouttes de sang…
Le seul moment qui se rapproche de l’horreur à la Hammer,
dans « Enchanting Shadow », est celui où Lao Lao se
transforme en démon défiguré, avant d’être réduite à l’état
de squelette.
Dracula and the 7
Golden Vampires
La Shaw Brothers, il est vrai, a ensuite collaboré
avec la Hammer pour produire des films d’horreur,
par exemple « The Legend of the Seven Golden
Vampires »
(《七金尸》),
en 1974, 9ème film dans la série des
Dracula du studio Hammer, coréalisé par
Chang Cheh (张彻)
(mais sans que son nom apparaisse au générique),
avec Peter Cushing et David Chiang. Premier film de
la série où Dracula n’est pas interprété par
Christopher Lee, et qui se passe dans un village
chinois …
La SB avait déjà produit un film de vampires en 1959,
« Vengeance of the Vampire » (《
殭尸復仇》),
qui était, lui, inspiré par les films de la Hammer.
Les kaidan de Nobuo Nakagawa
« Enchanting Shadow » fait plus penseraux films stylisés,
inspirés de contes populaires, de Nobuo Nakagawa, les
kaidan, terme qui signifie, justement, « récits de
l’étrange » (怪談).
La littérature populaire dont ils sont inspirés date même à
peu près de la même époque que les contes de Pu Songling.
Certains de ces récits sont d’ailleurs inspirés de contes
chinois.
Mais le contexte est différent : ce sont des récits
d’origine bouddhiste, dont les intrigues comportent des
« esprits en quête de vengeance », d’autant plus terribles
qu’ils étaient faibles de leur vivant, donc particulièrement
les femmes et les serviteurs. La vengeance peut s’étendre à
l’ensemble du genre humain, avec des maisons hantées qui
tuent tous ceux qui y entrent.
Ce n’est pas l’atmosphère créée par
Li Han-hsiang qui ne joue pas sur le surnaturel
et les êtres menaçants qui lui sont liés, mais, comme Pu
Songling, sur la dose d’irréel et d’étrange que comporte la
réalité, avec une tonalité qui vient de l’illusion du réel.
« Ombre enchanteresse » n’est ni un film expressionniste ni
un film gothique : c’est un film romantique, dans le genre
des histoires de caizi jiaren, et de la littérature
des canards mandarins … un film sur un amour impossible, non
par opposition des parents, mais, bien pire, parce que les
deux amants ne sont pas du même côté de la vie.
[1]
Selon la traduction d’André Lévy : Chroniques de
l’étrange, de Pu Songling, contes traduits et
présentés par André Lévy, Philippe Picquier 1996.
Très belle traduction des contes des deux premiers
volumes. On y trouve le conte sous le titre « Petite
Grâce », pp. 343-358 (n°49).
C’est le 7ème conte du 2ème
volume, texte original :
[2]
Le second caractère du prénom,
qiàn 倩,
évoque l’image d’une belle femme, comme, justement,
dans l’expression
qiànyǐng
倩影
– d’où le titre « ombre
enchanteresse »
《倩女幽魂》,
qui développe le titre du conte en précisant l’idée
d’apparition, d’ombre évanescente
yōuhún
幽魂.
[7]
Et même avant le générique, dès la séquence
introductive, qui montre un voyageur et son
serviteur saignés dans leur sommeil. Mais on a
l’impression d’une séquence rajoutée au montage,
comme pour répondre à des critiques lui demandant de
rendre son film plus effrayant.