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Avalanche de
films chinois à la 67ème
Berlinale : le cinéma derrière l’industrie
par Brigitte Duzan, 06 février 2017
A un moment où le cinéma chinois semble s’ingénier à
nous démontrer qu’il n’y a plus rien d’intéressant à
attendre d’une « industrie » tournée vers le profit
à court terme, la Berlinale 2017 (du 9 au 19
février) vient nous prouver exactement l’inverse :
qu’il y a une fantastique énergie latente sous le
déploiement actuel des grands effets visuels, en 3D
et autres, qui brillent surtout par leur terrible
inanité. |
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La 67ème Berlinale |
Voilà pas moins de huit longs métrages qui nous arrivent de
Chine continentale, un en compétition, les autres dans les
diverses sections, plus un de Taiwan dans la section
Panorama. On croit rêver : aucun n’est anodin, à commencer
par le premier, en compétition.
Ce qui frappe, en outre, c’est la récurrence des thèmes sur
l’abandon des campagnes et les crises ou tensions
psychologiques que la persistance des liens avec leurs
racines rurales continue de susciter chez les jeunes qui
veulent s’en libérer. C’est d’autant plus remarquable que
l’on retrouve une ligne de fond semblable dans les écrits
des écrivains de la génération « post’70 », celle de
beaucoup des réalisateurs arrivés eux aussi à maturité
aujourd’hui.
Compétition
Have a Nice Day
Haoji le
《好极了》
écrit et réalisé par
Liu Jian (刘健)
Have a Nice Day |
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Liu Jian n’est plus un inconnu, depuis 2010 quand
est sorti son premier long métrage d’animation,
« Piercing I
» (《刺痛我》).
« Have a Nice Day » se place dans la continuité de
ce premier film, par le contenu autant que
l’esthétique générale. C’est une satire féroce de la
société chinoise actuelle, teintée d’un humour
grinçant, et laconique. |
« Have a Nice Day » est une comédie noire où des gens de
toutes sortes et origines se disputent un sac contenant un
million de yuans. On a déjà vu ce genre de scénario, traité
en fable baroque, ou déjantée. Ici elle se mue en danse
macabre au milieu de paysages urbains sans âme.
Panorama
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Trois films de Chine continentale :
The Taste of Betelnut
Binglang xue
《槟榔雪》
de
Hu Jia (胡笳)
« The Taste of Betelnut » est le troisième film d’un
réalisateur né dans le Xinjiang en 1979, mais qui a
vécu à Shanghai et étudié le cinéma en France, où il
a gardé des attaches (son directeur de la photo et
l’un de ses deux assistants réalisateurs sont
français).
Ce troisième film est un tableau quasi mutique, mais
violent, d’une société en mutation, et en plein
désarroi. Il se passe dans l’île de Hainan, paradis
touristique sinon paradis tout court. Deux amis
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The Taste of Betelnut |
gagnent leur vie en distrayant les touristes, l’un dans un
show de dauphins, l’autre avec un karaoke mobile qui a
d’autant plus de succès sur la plage que le jeune homme a
une vague ressemblance avec Leslie Cheung… Quand apparaît un
troisième comparse qui est une femme, l’aventure se
transforme en trio testant les limites du possible.
Ciao Ciao
《巧巧》
de
Song Chuan (宋川),
une coproduction France/Chine
Ciao Ciao |
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Song Chuan est un autre jeune réalisateur à
découvrir ; « Ciao Ciao » est son second film, après
un premier en 2011 et des documentaires pour la
télévision. Il arrive avec le prestige lié, entre
autres, à son passage par l’Atelier
de la Cinéfondation à Cannes.
Il s’agit ici d’une fable sur la difficile évasion
de ses racines rurales par une jeunesse qui voit son
avenir en ville tout en subissant toujours
l’attraction de la campagne. Ciao Ciao s’est évadée,
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vit à Canton avec une amie, mais, de retour dans son village
pour rendre visite à ses parents, elle se trouve piégée dans
une idylle avec un vaurien local, et comme happée par un
trou noir.
Ghost in the Mountains
Kongshan yike
《空山异客》
écrit et réalisé par
Yang Heng (杨恒)
Bien qu’encore relativement peu connu du grand
public, mais soutenu par la Cinéfondation, le fonds
Hubert Bals, et familier du festival de Busan,
Yang Heng
en est à son quatrième long métrage, après
« Betelnut » en 2006. C’est un cinéaste intérieur,
« Ghost in the Mountains » le prouve plus encore que
les films précédents.
Un homme revient chez lui, dans un village perdu
dans les montagnes, où le poste de police, l’hôpital
et la morgue semblent être |
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Ghost in the Mountains |
les seuls endroits fonctionnant encore, au milieu de
bâtiments et de maisons tombant en ruines, et de rues
désertes : tous ceux qui sont encore là ne rêvent que de
partir. Ce n’est pas vision nouvelle dans le cinéma chinois
actuel. Mais Yang Heng fait de la visite au village, après
une rencontre avec un moine, le début d’une retraite
spirituelle pour son personnage, dans un paysage soudain
apaisé où la vie trouve dès lors une certaine sérénité,
comme en apesanteur.
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Un film de Taiwan
Small Talk
Richang duihua
《日常对话》
de Huang Hui-chen (黄惠侦)
Small Talk |
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Ce film, traité sur le mode documentaire, est le
troisième d’une réalisatrice née en 1978 qui a
commencé à réaliser des documentaires dans le cadre
de ses activités socio-politiques avec les
organisations syndicales et des groupes de
travailleurs migrants.
« Small Talk » est un documentaire sur sa mère, une
prêtresse taoïste officiant lors des funérailles ;
après un mariage avec un mari violent, elle a élevé
seule ses filles, dont
Huang Hui-chen qui a quitté l’école |
pour l’aider. Elle avait une foule de questions sans réponse
concernant sa mère, c’est l’objet de son film, dont le
producteur exécutif n’est autre que
Hou Hsiao-hsien.
Forum
Inmates
Qiu
《囚》
de
Ma Li (马莉)
De Ma Li, on connaît le premier long métrage,
“Mirror of Emptiness” (《无镜》),
tourné dans un monastère du Sichuan et sorti en
2010. « Inmates » est le troisième.
C’est un documentaire de 280 minutes tourné dans un
asile psychiatrique, qui rappelle
Wang Bing (王兵).
Mais ici le propos n’est ni politique ni social,
c’est une réflexion sur la folie, ses limites floues
avec la raison, et la logique interne d’un monde
coupé de ce qu’on a coutume de considérer comme
réel. La photo aux couleurs désaturées, traitée
quasiment comme du noir et blanc, ajoute au
sentiment glacial qui se dégage du film.
(Nota : le titre signifie Prisonniers) |
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Inmates, Ma Li |
Generation Kplus
Deux films pour enfants, ou sur des enfants
Stonehead
Shitou
《石头》
co-écrit et réalisépar Zhao Xiang (赵祥).
La “tête de pierre” en question est un élève modèle,
dans un village où les enfants sont laissés à la
garde des grands-parents et des autorités locales
par les parents partis travailler en ville. Quand il
reçoit un ballon de foot en récompense de ses
résultats en classe, le ballon s’avère être un
cadeau empoisonné.
Zhao Xiang a débuté comme assistant réalisateur de
Liu Jie (刘杰)
et de
Wang Xiaoshuai (王小帅),
en particulier pour
« Beijing
Bicycle » (《十七岁的单车》).
Le premier est le producteur exécutif de
« Stonehead », du second on sent l’influence
(distanciée). |
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Stonehead |
The Foolish Bird
Ben niao
《笨鸟》
de
Huang Ji (黄骥)
et Ryuji Otsuka
The Foolish Bird |
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« The Foolish Bird » est un nouvel opus de Huang Ji,
réalisé avec Ryuji Otsuka, chef opérateur d’origine
japonaise maintenant installé en Chine et avec
lequel elle travaille (et vit) depuis une dizaine
d’années. C’est un second volet de la trilogie
annoncée avec
« Egg
and Stone » (《鸡蛋和石头》),
lauréat d’un Tiger award au festival de Rotterdam en
février 2012.
C’est un autre drame touchant une adolescente qui
tente de combler le vide |
affectif laissé par ses parents partis travailler en ville
et le manque de perspectives dans une existence qui semble
partir en vrille, hors de son contrôle.
Promise |
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Ajoutons en bonus, dans cette même section
Generation Kplus, un court métrage de 17’ de Xie
Tian (谢天)
dont on parle beaucoup, intitulé « Promise »
(《承诺》).
Une autre histoire d’enfant « laissé derrière » dans
un village de montagne : le seul espoir qui le fait
vivre est la promesse de ses parents de revenir le
voir pour la Fête du Printemps…
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Extrait :
https://www.berlinale.de/en/programm/berlinale_programm/datenblatt.php?film_id=201711339#tab=video25
Toute la programmation sur le site du festival :
https://www.berlinale.de/en/das_festival/sektionen_sonderveranstaltungen/ueberblick/index.html
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