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Chor Yuen / Chu Yuan 楚原

Présentation

par Brigitte Duzan, 17 mars 2014

 

Avec plus de 120 films à son actif, Chor Yuen, selon la prononciation cantonaise de son nom, a été l’un des réalisateurs majeurs de la Shaw Brothers dans les années 1970 et 1980.Si Chor Yuan a signé des comédies très réussies, il est surtout connu pour ses nombreux films de wuxia adaptés de romans du célèbre écrivain taïwanais Ku Lung / Gu Long (古龙) dont il est presque indissociable (1). Par bien des côtés, son esthétique apparaît proche de celle de King Hu (胡金铨), à l’opposé du réalisme machiste de Chang Cheh (张彻).

 

Du cinéma en cantonais au cinéma en mandarin

 

De son vrai nom Zhang Baojian (张宝坚), Chor Yuen est né en 1934 dans une famille d’acteurs, dans l’arrondissement de Meixian de la ville de Meizhou, à l’est du Guangdong (广东省梅州市梅县区).

 

Chor Yuen

 

Enfant de la balle

 

Cheung Wood Yau

 

Son père était l’acteur de cinéma cantonais Cheung Wood Yau (张活游), qui jouera dans certains des films de son fils, et Chor Yuen lui-même épousa en 1968 la célèbre actrice de films cantonais Nan Hong (南红).

 

Il commence pourtant par faire des études de chimie à l’université Sun Yat-sen (中山大学). Au bout de trois ans, cependant, il s’oriente vers le cinéma à l’incitation de son père et débute comme scénariste de films cantonais, avec pour nom de plume Qin Yu (秦雨), nom que l’on

retrouve comme scénariste au générique de nombre de ses films.

 

Films en cantonais

 

Son premier scénario, en 1956, est celui de « The Soul Stealer » (勾魂使者) de Ng Wui / Wu Hui (吳回) – film qui marque les débuts de l’actrice Ha / Xia Ping (夏萍).

 

Chor Yuen devient très vite assistant-réalisateur et, dès l’année suivante, en 1957, débute comme assistant de Chin Chien / Kim Chun (秦剑), pour « Bloodshed in the Valley of Love » (《血染相思谷》). En 1958, il écrit encore un scénario pour un autre film de Kim Chun, « Autumn comes to Crape Myrtle Garden » (《紫薇园的秋天》).

 

Nan Hong et Chor Yuen lors de leur mariage en 1968

 

The Great Devotion

 

C’est cette même année 1958 qu’il réalise son premier film, « Grass by the Lake » (《湖畔草》), suivi, en 1960, de « The Great Devotion » (可怜天下父母心》), film cantonais en noir et blanc, avec, dans les rôles principaux, son père, Cheung Wood Yau (张活游),  et l’actrice Bai Yan (白燕).

 

Pendant les années 1960, Chor Yuen réalise plus de soixante-dix films en cantonais, mais, à la fin de la décennie, le cinéma cantonais est à bout de souffle. En 1964, le grand studio MP & GI est frappé de plein fouet par la mort dans un accident d’avion de son fondateur et principal dirigeant, Loke Wan Tho ; la compagnie est réorganisée, renommée Cathay (国泰公司), mais ne lui survit que quelques années : elle cesse ses activités cinématographiques en 1970.

 

 

Films en mandarin

 

La Shaw Brothers domine désormais le cinéma de Hong Kong, et c’est un cinéma en mandarin. Chor Yuen réalise en 1970 un dernier film pour la Cathay, qui est aussi son premier film en mandarin : le wuxiapian « Cold Blade » (《龙沐香》). Puis, l’année suivante, en 1971, il rejoint la Shaw Brothers et y réalise « Duel for Gold » (《火并》), sur un scénario de Ni Kuang (倪匡), le grand scénariste des films de wuxia des années 1970/80 à Hong Kong.

 

C’est alors qu’il tourne coup sur coup deux films qui ont un immense succès et assurent sa renommée.

 

Les grands succès de 1972 et 1973

 

Ces deux films sont « Intimate Confessions of a Chinese Courtesan » (《爱奴》) et « The House of 72 Tenants » (《七十二家房客》)

 

Cold Blade

 

Intimate Confessions of a Chinese Courtesan 

 

Sorti en juillet 1972, « Intimate Confessions of a Chinese Courtesan » est un film qui n’a cessé d’étonner, pour la hardiesse de son sujet à l’époque et la subtilité de son traitement : il joue d’une liaison lesbienne entre les deux personnages féminins principaux en y joignant de subtils éléments de wuxia et un suspense qui ménage une fin sanglante.

 

Intimate Confessions

of a Chinese Courtisan

 

La jeune Ainu (爱奴) du titre chinois est enlevée par des bandits et vendue à la maison close du Printemps des  Quatre Saisons (四季春”). Par la force de son caractère, elle y fait l’admiration de la tenancière, Chunyi (春姨), et même plus, puisque Chunyi en fait son amante en même temps qu’une courtisane très convoitée, et lui enseigne des secrets d’arts martiaux, dont une attaque à mains nues qui permet de plonger, à travers la poitrine, jusqu’au cœur de son adversaire. Mais Ainu (dont le nom signifie esclave de l’amour) rumine en fait sa vengeance…

 

Chor Yuen a traité son sujet sans pesanteur ni excès ; il a bénéficié de décors superbes de la Shaw Brothers et des meilleures acteurs et actrices du studio : dans le rôle de Ainu, Ivy Ho (何莉莉) qui joue la même année dans  « The Water Margin »  (《水浒传》) de Chang Cheh (张彻); dans celui de Chunyi, Betty Pei Ti (贝蒂) que l’on va retrouver dans d’autres films de Chor Yuen, et Yueh Hua (岳华), qui fait un lien discret

avec « L’hirondelle d’or » (大醉侠) de King Hu (胡金铨) où il tenait le rôle principal.

 

« Intimate Confessions » révèle d’ailleurs d’entrée l’une des caractéristiques de la filmographie de Chor Yuen qui le rapproche de King Hu, en l’opposant à Chang Cheh (张彻) : l’importance de l’élément féminin dans ses scénarios, et un traitement poétique de la narration. Ce qui l’en distingue, c’est l’accent mis sur la somptuosité de décors et des costumes, avec un accent particulier sur les couleurs : l’image est superbe.

 

Le scandale qui accompagna le film à sa sortie suscita un extraordinaire engouement auprès du public, faisant du film l’un des plus gros succès des années 1970 de la Shaw Brothers. Il reste une œuvre de référence.

 

Cette même année 1972, il signe un autre film totalement différent, « The Lizard » (《壁虎》), un film d’action situé dans les années 1930 à Shanghai. Dans une ville grouillante d’étrangers et de fonctionnaires corrompus, un mystérieux personnage en noir met à profit l’obscurité pour voler les riches afin de donner son butin aux pauvres. Son identité sera dévoilée au terme d’un formidable suspense et d’un dénouement inattendu.

 

Yueh Hua (岳华), qui interprète le personnage principal, se fait voler la vedette par Connie Chan (陈宝珠)(2), dans un rapport de forces entre personnages masculins et féminins assez typiques de Chor Yuen.

 

On a l’impression qu’il expérimente plusieurs genres, impression confirmée par le film suivant.

 

The House of 72 Tenants

 

Sorti l’année suivante, en 1973, « The House of 72 Tenants » est complètement différent : c’est une comédie satirique en cantonais, remake d’un mélodrame de 1963, adapté d’une pièce de théâtre d’avant la guerre. Dans un quartier populaire de Hong Kong, 72 locataires représentant tous les petits métiers de la population se battent contre un couple de propriétaires retors, acoquinés avec un avocat véreux.

 

Célébration pleine d’humour des couches populaires de la population hongkongaise, à mi-chemin entre satire et vaudeville, le film a connu un tel succès qu’il a battu le record au box office de 1973 institué par Bruce Lee avec « Enter the Dragon ». Il a en outre contribué à changer la perception négative des films en langue cantonaise, et a ainsi constitué un tournant dans l’histoire du cinéma de Hong Kong.

 

The House of 72 Tenants

 

Chor Yuen est lancé. Dans les années qui suivent, il tourne à profusion, jusqu’à sept ou huit films en parallèle, mais ce sont surtout les wuxiapian qui vont devenir sa marque de fabrique, et en particulier ceux adaptés des romans du Taïwanais Gu Long (古龙) (1).

 

Les grands films de wuxia à partir de 1976

 

Premières adaptations de Gu Long

 

The Magic Blade

 

C’est en 1976 qu’il réalise deux films qui sont ses premières adaptations de romans de Gu Long : « Magic Blade » (《天涯,明月,刀》) et « Killer Clans » (《流星.蝴蝶.剑》).

 

Le premier fait de Ti Lung (狄龙), emprunté à Chang Cheh, l’épéiste solitaire que l’on retrouvera dans la plupart des films suivants qui seront marqués par une ambiance très particulière, à la limite de l’irrationnel, avec des intrigues complexes à retournements multiples typiques de Gu Long. L’utilisation de trampolines rattache aussi le film à l’esthétique de King Hu.

 

Outre Ti Lung, « Magic Blade » est interprété par une pléiade d’acteurs et actrices qui seront récurrents dans la filmographie ultérieure de Chor Yuen : l’actrice Ching Li (井莉), Lo Lieh (罗烈), Ku Feng (谷峰), ou encore Fan Mei-sheng (樊梅生) qui avait fait ses débuts dans

 

 « L’histoire de Su San » (玉堂春) de King Hu

 

On retrouve des caractéristiques semblables dans « Killer Clans », sur un scénario de Ni Kuang (倪匡). Deux clans sont en rivalité pour conquérir la suprématie dans le monde des arts martiaux, dans une intrigue à la fois politique et typique du wuxia, avec trahisons et doubles jeux. La chorégraphie, imaginative, est signée Yuen Cheung Yan, frère de Yuen Woo Ping, et Tong Gaai. Le film a une atmosphère proche du fantastique typique de Chor Yuen.

 

 

Les grandes adaptations de la série de Chu Luxiang

 

Les grandes adaptations de Gu Long commencent en 1977 avec « Clans of Intrigue » (楚留香》) dont le titre chinois renvoie au héros de l’une des principales séries de romans de Gu Long : Chu Luxiang (1).

 

« Clans of Intrigue » est en fait adapté du premier roman de la trilogie de Chu Luxiang : « Fragrance in the Sea of Blood » (《血海飘香》) ; il sera suivi en 1978 de « Legend of the Bat » (《蝙蝠传奇》), adaptation du premier roman de la pentalogie « The New Legend of Chu Liuxiang » (《楚留香新传》). La série d’adaptations de Chu Luxiang s’achèvera en 1982 avec « Perils of the Sentimental Swordsman » (《楚留香之幽灵山庄》).

 

La chorégraphie de « Clans of Intrigue » est signée Tong Gaai (唐佳), mais les combats ne sont pas l’intérêt majeur du film. Bien plus intéressant, il a une intrigue pleine de suspense et la splendeur des films d’époque de la Shaw Brothers, avec un

 

Clans of Intrigue

rappel de « Intimate Confessions of a Chinese Courtisan », dans les rapports entre la femme à la tête des combattantes du Palais de l’eau magique, et sa servante (interprétée par Betty Pei Ti : le lien est clair).

 

On retrouve Ti Lung en Chu Luxiang et Yue Hua dans un rôle de moine énigmatique. L’atmosphère est baroque plus que fantastique : c’est un sommet de la filmographie de Chor Yuen, et un modèle des films des wuxiade la fin des années 1970, avant que les effets spéciaux s’emparent du genre.

 

Adaptations de Gu Long par Chor Yuen

 

1976 Killer Clans《流星.蝴蝶.剑》

1976 Magic Blade 《天涯,明月,刀》

1977 Clans of Intrigue 楚留香

1977 Jade Tiger 白玉老虎

1977 Death Duel 《三少爷的剑》

1977 Sentimental Swordsman 《多情剑客无情剑》

1977 Pursuit of Vengeance 《明月刀雪夜歼仇》

1978 Clan of Amazons 《秀花大盜》

1978 Legend of the Bat 《蝙蝠传奇》

1978 Swordsman and Enchantress 蕭十一郎

1979 Full Moon Scimitar 圆月弯刀

1979 Murder Plot 孔雀王朝

1979 Proud Twins 绝代双骄

1980 Heroes Shed No Tears 《英雄无泪》

1981 Return of the Sentimental Swordsman 魔剑侠情

1981 Duel of the Century 陆小凤之决战前后

1982 Perils of the Sentimental Swordsman 《楚留香之幽灵山庄》

1982 Spirit of the Sword《浣花洗剑》

 

Après 1982

  

Encore quelques films de wuxia

 

Chor Yuen reviendra ensuite deux fois au film de wuxia, avec « The Roving Swordsman » (大俠沈勝衣) en 1983, toujours avec Ti Lung et Ching Li, puis en 1984 avec « The Hidden Power of the Dragon Sabre » (魔殿屠龍), avec Ti Lung, Derek Yee, Ku Feng, Lo Lieh et Cherie Chung, film de wuxia mâtiné de film d’horreur, produit par Mona Fong.

 

Mais aussi des comédies, un polar…

 

On a donc tendance à ne voir en Chor Yuen qu’un maître du wuxiapian, dans la lignée de King Hu. Il ne s’est pourtant pas limité à ce genre, ni à ses débuts, ni à la fin de sa carrière. A partir de 1983, il a réalisé des comédies qui ont eu beaucoup de succès, à commencer par « Mad Mad 83 » (《瘋狂八三) qui a lancé l’acteur Tony Leung Chiu Wai.

 

Heaven Sword and Dragon Sabre

 

Diary of a Big Man

 

En 1986, il signe une excellente comédie romantique, avec Leslie Cheung et Anita Mui, intitulée « Last Song in Paris » (偶然). Ce sont ces précédents qui incitent Tsui Hark à lui confier en 1988 la réalisation de « Diary of a Big Man » (大丈夫日记》) qui demeure l’une des meilleures comédies romantiques hongkongaises, avec un Chow Yun Fat en coureur de jupons aux côtés d’actrices comme Joey Wong ou Sally Yeh.

 

En 1990, il réalise un polar cantonais avec Alex Fong (方中信et Waise Lee (李子雄), intitulé « Blood Stained Tradewinds » (血在風上).

 

Il réalise son dernier film en 1993, en mandarin : « The Buddhist Spell »  (菩提有鬼).

 


Une redécouverte

 

Après leur sortie en salle, la plupart des films de la Shaw Brothers sont restés pendant longtemps inaccessibles, et ceux que l’on réussissait à faire sortir des dépôts secrets de la compagnie étaient en mauvais état, avec des sous-titres illisibles.

 

Heureusement, la vaste bibliothèque de titres du studio a été rachetée par Celestial Pictures, filiale du groupe Celestial Tiger Entertainment. Il y a là quelque 760 titres, dont toute la collection des films de Chor Yuen. En décembre 2002, on a vu apparaître sur le marché les premiers DVD, avec des copies restaurées, numérisées et des sous-titres refaits. On peut maintenant redécouvrir l’œuvre de ce réalisateur encore méconnu, en commençant peut-être par « Clans of Intrigue »….

 

 

Notes

(1) Sur Ku Lung / Gu Long et les adaptations cinématographiques de ses séries de romans, voir :

www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Gu_Long.htm

(2) Une actrice née en 1946, comme Cheng Pei-pei, fille adoptive d’acteurs d’opéra cantonais et élève d’un maître de l’opéra de Pékin.

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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