par Brigitte
Duzan, 3 mai 2012,
actualisé 4 septembre 2024
Guan Hu est
sorti en 1991 de l’Institut du film de Pékin, en
même temps que, entre autres,
Zhang Yuan (张元)
et
Wang Xiaoshuai (王小帅).
Ses débuts sont donc parallèles à ceux du
cinéma indépendant chinoisqui
marque aussi les débuts de la« sixième génération », au début des années
1990 ; son premier film reprend d’ailleurs la
thématique générale de ceux de ses confrères à la
même époque.
On classe
donc généralement Guan Hu dans cette « sixième
génération » des réalisateurs chinois, mais lui-même
le récuse : il est toujours resté « dans le
système », tous ses films sont sortis avec un visa
de censure en bonne et due forme. A partir de 2009,
année qui représente un tournant décisif dans sa
carrière, ses films sont même nettement orientés
vers le commercial, mais sans jamais se départir
d’une exigence de qualité qui a toujours été la
caractéristique de Guan Hu.
Guan Hu
La maturité venant,
il est aujourd’hui devenu en Chine l’un des meilleurs
auteurs de comédies, avec une griffe distinctive : des
comédies un tantinet loufoques, un rien baroques, bien
enlevées et bien interprétées, sur des scénarios parfois
complexes, mais toujours bien écrits.
1994-2002 :
Génération rock et après
Né en août
1968 à Pékin, Guan Hu (管虎)est le fils
d’un couple d’acteurs de théâtre ; son père, Guan
Zongxiang (管宗祥),
a aussi beaucoup joué à la télévision. Reprenant le
patronyme paternel, le nom que Guan Hu s’est choisi
signifie « attention au tigre », jeu de mots sur
l’expression chinoise « le jeune veau n’a pas peur
du tigre » (初生牛犊不怕虎) :
tout un programme.
1994 : Dirt
Son premier
film, « Dirt » (《头发乱了》),
sorti en 1994, le propulse tout de suite sur la
scène médiatique. C’est un tableau de la scène
Guan Zongyang dans
l’un de ses derniers rôles, en 2012
underground du
rock à Pékin, sujet, aussi, de « Beijing
Bastards » (《北京杂种》)
de Zhang Yuan (张元),
sorti l’année précédente ; si le sujet est le même, c’est
pour les mêmes raisons : parce que le rock représentait à
l’époque un symbole de l’esprit libertaire et contestataire
des jeunes intellectuels citadins (et en particulier ceux
récemment arrivés en ville, et pas encore intégrés dans le
milieu urbain).
Guan Hu avec ses
parents et Liang Jing
Guan Hu a
laissé une marque d’un subtil symbolisme à côté du
titre, au début du générique : c’est comme un petit
sceau, marqué du nombre 87. Ce 87 (pour 1987) est
l’année d’entrée à l’Institut du cinéma de Pékin de
la promotion 1991. Guan Hu signifiait ainsi que son
film représentait l’esprit rebelle de toute cette
génération, l’expression collective de leurs
aspirations artistiques, incarnées par la musique
rock.
Bien que bien moins connu que
le film de Zhang Yuan, « Dirt » est cependant, à sa
manière,
tout aussi emblématique : dans son
chapitre « Rebels Without a Cause » de l’ouvrage édité par
Zhang Zhen, « The Urban Generation »
[1],
Zhang Yingjin prend le film comme point d’entrée de son
exploration des années de formation de la nouvelle
génération du cinéma chinois, dans les années 1990.
Cependant,
si « Beijing Bastards » marque les débuts du
mouvement du cinéma indépendant, celui de Guan Hu
représente la tendance inverse. En effet,
contrairement aux autres réalisateurs chinois qui
ont cherché à acquérir une indépendance au moins
artistique dans les années 1990, Guan Hu a choisi de
rester dans le cadre du système des studios, et de
réaliser ses films en en respectant les contraintes
et, en particulier, les règles de censure ; il n’a
jamais été interdit en Chine : il s’est toujours
débrouillé pour obtenir les autorisations
nécessaires.
Ainsi, pour
« Dirt », il a payé 150 000 yuans pour avoir le
label du studio de Mongolie intérieure. En outre, il
a fait des compromis avec la censure, et ce en
particulier pour le titre : le titre chinois devait
être « Dirty Men » (《脏人》),
des gens « pas très nets », pourrait-on dire, mais
c’était inacceptable pour les censeurs ; le film est
donc sorti sous le titre actuel,
Dirt
beaucoup plus
neutre, qui signifie « cheveux mal peignés », ces cheveux
longs qui sont l’une des caractéristiques de la « génération
rock ».
La production et le
financement ont été bouclés grâce aux relations de l’actrice
Kong Lin (孔琳)
que l’on retrouve dans les films suivants du réalisateur.
A la recherche d’un
style
La rébellion ayant
fait son temps, après « Dirt », de 1996 à 2002, Guan Hu
poursuit avec quatre films résolument « commerciaux »,
c’est-à-dire qu’il tente, selon ses propres déclarations, de
faire quelque
Shang che, zou ba
chose
d’ « agréable à regarder » (好看),
en tant que facteur déterminant la valeur d’un film
auprès du public. Ce sont des films qui s’attachent
à dépeindre la vie de jeunes confrontés à un monde
chinois en changement rapide. En ce sens, ils
poursuivent la thématique de « Dirt ».
Sorti en
1996, « Street Rhapsody » (《浪漫街头》),
produit par le studio de Pékin, est l’histoire de la
rencontre improbable d’un chauffeur de taxi et d’une
violoncelliste – interprétée par Kong Lin. Aussitôt
après, Guan Hu tourne « Farewell Our 1948 » (《再见,我们的一九四八》),
produit par le studio du Liaoning, qui ne sort que
trois ans plus tard et n’a pas grand succès.
En 2000, Shang che, zou ba (《上车,走吧!》)
pourrait être traduit : « allez, en voiture ! ».
C’est l’histoire de deux copains du Shandong qui
s’embarquent dans un minibus pour aller à Pékin… Le
film est surtout resté dans les annales parce qu’il
a
offert son
premier rôle à
Huang Bo
(黄渤)
qui devient dès lors l’ami de Guan Hu et l’acteur
indissociable de sa filmographie.
En 2002, il
réalise encore « Eyes of a Beauty » (《西施眼》),
produit par le studio de Pékin, qui obtient le prix
Netpac au Festival international du film de Hawaii.
C’est un film superbe, énigmatique et fascinant,
dont le scénario est conçu sur la base d’un opéra
qui relate une ancienne légende : celle d’une
héroïque beauté nommée Xishi (西施).
L’opéra est
lié dans le film au destin d’une chanteuse,
spécialisée dans le rôle, qui approche la
quarantaine, et doit affronter à la fois un divorce
douloureux et l’émergence d’une rivale plus jeune.
Cette histoire est entrecoupée de deux autres fils
narratifs, centrés sur deux autres femmes, dont le
sens reste longtemps énigmatique. Mais le scénario
est en fait structuré en séquences appartenant à des
époques différentes. Ce cinquième film de Guan Hu
mériterait d’être plus connu.
Eyes of a Beauty
Début du film
(sous-titres anglais)
2002-2009
Télévision
Après « Eyes of a
Beauty », Guan Hu se tourne vers la télévision, pour vivre,
d’abord. Mais c’est aussi un moyen de perfectionner sa
technique et d’approfondir sa réflexion sur le genre de
cinéma qu’il veut faire.
Ses films télévisés
ont du succès, mais il lui faut cinq ans avant de pouvoir en
sortir et se lancer dans la réalisation d’un nouveau film,
et sept ans avant de retrouver les écrans de cinéma, avec un
film drôle et surréaliste qui lui apporte enfin la notoriété
et la popularité qu’il méritait.
Il en a eu l’idée
alors qu’il tournait un téléfilm dans le Shandong. Il est
tombé sur une fable locale qui tenait en une ligne : « en ce
temps-là, il y avait un paysan qui emmenait une vache
étrangère pour accomplir une promesse idiote, et ils ont
tous deux réussi à survivre. »
2009 : Retour au
cinéma
2009 : Cow
Ce film,
c’est
« Cow » (《斗牛》),
qui fait découvrir
Huang Bo au grand public, tout en
mettant aussi en valeur le talent de l’actrice Yan
Ni (闫妮).
C’est une comédie, qui traite d’un sujet grave avec
un humour loufoque, qui fait mouche dès la première
séquence.
On aurait
du mal à imaginer histoire plus saugrenue :
celle d’une vache hollandaise et d’un simple
d’esprit dans un village perdu dans le nord-est de
la Chine, à un tournant de la guerre sino-japonaise.
C’est un film où, sous couvert de comédie, la guerre
apparaît essentiellement, côté paysan, comme une
tuerie absurde, où la population villageoise est la
cible de représailles de la part des Japonais, dans
une suite d’opérations militaires qui la dépassent
totalement.
Filmé avec
un brio qui vaut celui du scénario, « Cow »vaut une reconnaissance
immédiate à Guan Hu. En même temps, il représente le genre
qui sera désormais le sien : la comédie, mais une comédie
traitée de façon très personnelle, avec des scénarios
originaux et une remarquable direction d’acteurs. C’est ce
style qu’il va développer et décliner en diverses variations
dans ses films suivants.
Début 2012 : Design
of Death
Début 2012,
« Design
of Death » (《杀生》)
a continué dans la même veine, avec Huang Bo,
toujours, dans le rôle-titre, et l’épouse de Guan
Hu, l’actrice Liang Jing (梁静),
dans l’un des deux rôles féminins. Cette fois, la
comédie est liée à une intrigue policière dont le
suspense est doublé d’une histoire d’amour aussi
improbable que le reste du scénario.
Cow
Design of Death
Les deux actrices de
Design of Death, Yu Nan et Liang Jing
Celui-ci
est adapté d’une nouvelle de Chen Tiejun (陈铁军),
écrivain du
Henan né en 1963 à Pékin et auteur de romans
policiers.
Huang Bo
interprète le rôle d’une sorte de hooligan de village qui
séduit les veuves et dévalise les tombes. Or, un jour, on
découvre un cadavre dans le village, et l’enquête montre que
tout le monde avait une raison pour le tuer – prétexte à une
chaîne d’histoires absurdes.
Fin 2012 :
The Chef, the Actor, the Scoundrel
Avant même
la sortie de « Design of Death », Guan Hu avait déjà
annoncé la sortie de son film suivant, en décembre
2012 : « The Chef, the Actor, the Scoundrel »
(《虎烈拉》).
C’est l’histoire incroyable d’un trio de copains qui
n’en sont pas, pendant la guerre, à Pékin. Toujours
avec
Huang
Bo et Liang Jing,mais aussi
Liu Ye (刘烨)
en chef de cuisine et
Zhang Hanyu (张涵予)
dans un rôle inattendu de chanteur d’opéra.
En 1942,
trois Chinois qui se révèlent être des agents des
services secrets chinois ont pour mission de venir à
bout d’une épidémie de choléra due à des essais d’un
labo secret
The Chef the Actor the
Scoundrel
japonais. Ils
enlèvent
donc un général et un biochimiste japonais qui pourraient
avoir le vaccin miracle.
Guan Hu avec le trio
d’acteurs de « The Chef, the Actor, the Scoundrel
(de g. à d. Liu Ye, Zhang Hanyu et Huang Bo)
Mais leurs
méthodes d’interrogation ayant échoué, ils vont
chercher dans l’opéra une solution à leur problème
en désorientant leurs adversaires pour les faire
parler…
Suite de
rebondissements imprévus et cocasses,
remarquablement interprété, le film se démarque des
films de guerre antijaponais courants. On peut
presque le considérer comme un opéra moderne, en le
reliant, par cette thématique, au film de 2002,
« Eyes of a Beauty ».
2015 : Lao
Pao’er
Présenté hors
compétition en clôture
de la 72ème Biennale de Venise,
début septembre 2015,
« Lao Pao’er » ou
« Mr.
Six » (《老炮儿》)
est une autre variation du talent de Guan Hu, le comique
disparaissant ici sous le tragique et la satire sociale.
C’est en outre un film d’action, mais traité de façon
originale.
C’est un tableau de
la fin d’un monde, un monde violent, mais qui avait ses
règles et son honneur, comme le wuxia en son temps.
Un vieux chef de gang qui s’était retiré du milieu y
replonge pour secourir son fils qui a été kidnappé par une
bande de nouveaux caïds ; il se rend compte alors que son
univers est de l’ordre du passé.
Les jeunes
font penser à « Dirt », comme si Guan Hu revenait à
ses sources. Mais surtout, le rôle principal est
interprété par un formidable
Feng Xiaogang (冯小刚),
qui dégage à lui seul – en maître de ses jeunes
condisciples acteurs - tout un réseau de symboles
sans lesquels le film perdrait une partie de sa
signification. Il y a quelque chose d’un passage de
relais, dans ce film, un hommage aussi.
Feng Xiaogang dans
Lao Pao’er
C’est sans doute le
film le plus profond de Guan Hu à ce jour, qu’on ne peut
s’empêcher de regarder le cœur serré.
2020 : Les 800
Après plus de vingt ans de préparation, Guan Hu termine en
2019 un film sur un épisode célèbre de la Bataille de
Shanghai, en 1937 :
« Les
800 » (《八佰》).
Premier film chinois à être tourné en totalité avec des
caméras IMAX, il restera sans doute dans les annales d’abord
pour les
divers reports de sa date de sortie qui reflètent
le caractère hautement sensible du sujet, s’agissant d’un
exploit héroïque de soldats de l’armée… nationaliste,
puisque nous sommes en 1937.
Mais, quand le film sort finalement sur les écrans chinois,
le 21 août 2020, après cinq mois de fermeture des cinémas en
raison de l’épidémie de covid, c’est un succès. C’est un
couronnement pour Guan Hu qui s’affirme comme l’un des
meilleurs cinéastes chinois du moment.
La même année sort aussi « The Sacrifice » (《金刚川》),
autre superproduction réalisée par Guan Hu, à
replacer dans la série des films produits en Chine
au même moment sur la guerre de Corée.
2024 : Black Dog
En mai 2024, un nouveau film de Guan Hu, « Black
Dog » (《狗阵》),
est en sélection officielle au festival
de Cannes,
dans la section « Un certain regard ».
Le sujet est original : un road-movie de deux
solitaires, un homme et un chien, dans un paysage de
désert post-apocalyptique.
Le film a obtenu le prix « Un certain regard ».
C’est l’un des plus beaux films réalisés par Guan
Hu, dans son style très personnel, entre réflexion
sur l’histoire et satire sociale, avec suffisamment
d’humour, d’émotion et de poésie pour éviter que la
satire ne soit trop mordante ou banale. Du grand
art.
Black Dog
2024
encore : Un homme et une femme..
Un homme et une femme
C’est quelques jours après la sortie en salle de
« Black Dog » que, comme pour montrer l’éclectisme
et l’étendue de son talent, Guan Hu a présenté un
nouveau film, complètement différent, en sélection
au festival de Shanghai – un film annoncé comme
étant sa première comédie romantique : « A Man and a
Woman » (《一个男人和一个女人》).
On pense aussitôt Cha bada bada… Mais on est
loin de la Nouvelle Vague française. L’homme est un
acteur récurrent dans les films de Guan Hu depuis « Cow » :
Huang Bo (黄渤).
La femme est Ni Ni (倪妮),
l’actrice qui interprétait en 2011 le rôle de Yu Mo
(玉墨)
dans le film « Flowers
of War » (《金陵十三釵》)
de
Zhang Yimou.
L’histoire se passe à Hong Kong pendant l’épidémie
de covid19. Les deux personnages attendent de
pouvoir continuer leur voyage jusqu’en Chine
continentale et, un peu comme chez
Wong Kar-wai,
vivent dans deux chambres
d’hôtel
voisines en se racontant leur vie à travers la cloison…
[1]
The Urban Generation, Chinese Cinema and Society at
the Turn of the 21st Century, Zhang Zhen ed., Duke
University Press, 2007 – Rebels without a cause, p.
49, est le premier chapitre de la 1ère partie,
Ideology, Film Practice and the Market.
[2]
Avant la cérémonie de fondation de la
République populaire, le 1er
octobre 1949, un ingénieur, interprété par
Huang Bo, se lance dans une course contre la
montre pour mettre au point un mécanisme
automatique de lever de drapeau.