par Brigitte
Duzan, 9 mai 2012, actualisé 22 juin 2018
Lü Yue est
un cinéaste « de la cinquième génération » qui,
depuis 1982, a fait pratiquement toute sa carrière
comme chef opérateur de grands réalisateurs. Il a
pourtant réalisé lui-même quatre films méconnus dont
le premier a été couronné du Léopard d’or au
festival de Locarno en 1998.
Chef
opérateur des plus grands réalisateurs de son temps
Lü Yue (吕乐) est né à Tianjin en 1957 et se passionne très tôt pour le dessin. A la
fin du collège, Révolution culturelle oblige, il est
envoyé travailler dans une ferme dans la banlieue de
Pékin. Sa carrière démarre en 1982, sous l’aile de
Tian Zhuangzhuang.
Débuts avec
Tian Zhuangzhuang
En 1978, à
la réouverture des universités, Lü Yue entre à
Lü Yue
l’Académie du
cinéma de Pékin, dans le département photo. Il fait donc
partie de la première génération de cinéastes qui sont
sortis de l’Académie après la Révolution culturelle, en
1982, ce qui explique les liens étroits qu’il a entretenus
tout au long de sa carrière avec les grands réalisateurs de
ladite cinquième génération, avec lesquels il a collaboré
comme chef opérateur.
L’éléphant rouge
C’est
Tian Zhuanzhuang (田壮壮)qui,
le premier, remarque son talent. Dès le printemps
1981, c’est-à-dire pendant qu’ils sont encore à
l’Académie, ils réalisent un premier projet ensemble,
avec également
Zhang Yimou (张艺谋),
Hou Yong (侯咏)
et quelques autres. Il s’agit
du court métrage en noir et blanc « Notre petite
cour »
(《我们的小院》)
d’après une nouvelle de Wang Anyi (王安忆).
En 1982,
Tian Zhuanzhuang reprend ensuite ses trois camarades
pour tourner un film pour sa mère, l’actrice Yu Lan (于蓝),
chargée l’année précédente de la direction du tout
nouveau Studio des Films pour enfants (儿童电影制片厂).
Le scénario qu’elle confie à son fils est celui de
« L’éléphant rouge » (《红象》),
tourné dans le Xishuangbanna, en pleine forêt, dans
des conditions climatiques un peu éprouvantes
[1].
Aussitôt après, en
1984, Lü Yue
participe, toujours avec Hou Yong, au tournage du film
suivant de Tian Zhuanzhuang : « On the Hunting Ground » (《猎场札撒》), réalisé à l’invitation du studio de Mongolie intérieure.
Alors qu’il
est en train de préparer ce qui sera son dernier
film, « Une histoire de vent », dont une grande
partie doit se passer dans le désert mongol, Joris
Ivens voit le film, et, enthousiasmé par la photo,
demande à Tian Zhuangzhuang de lui « prêter » ses
deux chefs opérateurs. Le
On the Hunting Ground
ministère de la
Culture donne son accord, mais Tian Zhuangzhuang est alors
sur le point de commencer le tournage de son film
« Le
voleur de chevaux » (《盗马贼》) :
il ne consent pas à laisser partir Hou Yong.
C’est Lü Yue qui
va donc travailler sur le tournage de Joris Ivens. Les
rushes qu’il a tournés ne seront pas ensuite utilisés au
montage, mais le film est pourtant une occasion unique pour
le jeune cinéaste chinois : il va rester six ans en France,
de 1986 à 1992, et se familiariser avec le cinéma français
et la culture européenne.
Chef opérateur de
Zhang Yimou, Feng Xiaogang, John Woo….
Painting Soul (Pan
Yuliang)
Le premier
film dont il est le chef opérateur en rentrant en
France est le film de
Huang Shuqin (黄蜀芹)
« A Soul Haunted by painting » (《画魂》). Réalisatrice de la
quatrième génération, Huang Shuqin fut professeur à
l’Académie du cinéma de Pékin à sa réouverture, en
1978. Son film retrace le destin de Pan Yuliang (潘玉良),
une femme peintre qui, vendue enfant dans une maison
close et rachetée en 1913 par un riche
fonctionnaire, lutta toute sa vie pour être reconnue
comme artiste. Elle est interprétée dans ce film par
Gong Li (巩俐).
C’est avec
Zhang Yimou que Lü Yue tourne ensuite, trois films
d’affilée, dont, en premier lieu,
« Vivre ! » (《活着》) dont la photo est particulièrement remarquable, avec un grand nombre de
scènes tournées en lumière naturelle. Puis il est le
chef opérateur de
ChenChong (陈冲), passée
derrière la caméra
en 1998 pour son seul et unique film en tant que
réalisatrice,
« Xiu Xiu the Sent Down Girl » (《天浴》).
Il interprète même le rôle du père dans un film qui reste à
redécouvrir, en particulier pour la beauté des images.
Lü Yue aura
assisté les plus grands réalisateurs, le dernier en date
étantFeng
Xiaogang (冯小刚) dont il a été le chef opérateur depuis
« Assembly »
(《集结号》)
en 2008, jusqu’à
« Aftershock »
(《唐山大地震》)
en 2010. Mais son tournage le plus difficile fut sans doute
celui du film de
John Woo (吴宇森)
« Red Cliff » (《赤壁》);
au bout de six mois, il était tellement fatigué qu’il a été
relayé par un autre chef opérateur.
Il a un style
propre, le sens du cadrage, de l’éclairage approprié, et
l’une de ses caractéristiques est l’utilisation d’une caméra
fixe, sa référence, en ce sens, étant Bresson.
Il a
expliqué que l’on passe derrière la camera à partir
du moment où l’on a envie de raconter une histoire.
C’est ce qui lui est arrivé en 1998. Il a réalisé
quatre films jusqu’ici, le plus réussi étant sans
aucun doute le premier, « Mr. Zhao » (《赵先生》), qui a d’ailleurs été couronné du Léopard d’or au festival de Locarno.
Mr. Zhao
« Mr.
Zhao » est le type de « comédie noire », qui
plaît au public chinois, mais celle-ci est
originale dans son dénouement.
Mr. Zhao
est professeur de médecine (chinoise) et il est
marié à une ouvrière au chômage, Zhou Ruomin
(周若敏).
Au début du film, elle le suit à la sortie d’un
cours, et se rend
Mr. Zhao
compte qu’il va
rejoindre une femme. Celle-ci est une ancienne élève de
Zhao, Tian Jing (田静).
La double vie de Zhao prend un tour épineux quand Tian Jing
lui apprend qu’elle est enceinte, de lui.
Les circonstances étant ce qu’elles sont, elle décide de se
faire avorter. Etant reparti en courant de la clinique où il
était venu la voir, Zhao se fait renverser par un camion.
L’accident le laisse dans un état végétatif. Sur son lit
d’hôpital, il revoit alors en rêve ce qui apparaît comme le
souvenir le plus heureux de sa vie, une autre femme
rencontrée par hasard un soir qu’elle s’était réfugiée
trempée dans le bâtiment universitaire où il avait son
bureau ; il revoit la nuit platonique mais joyeuse qu’ils
ont passée ensemble à se promener ; elle est repartie au
petit matin, il ne l’a jamais revue… à ce souvenir, un
sourire apparaît sur son visage, et ce sourire ne le
quittera plus… c’est désormais le monde où il vit.
C’est un superbe film, inattendu, et très bien interprété,
par Shi Jingming (施京明)
dans le rôle principal, et, entre autres, Jiang Wenli (蒋雯丽)
dans le rôle de la femme du souvenir.
Mr.Zhao (en
chinois non sous-titré)
The Foliage
The Foliage
Réalisé
cinq ans plus tard, adapté d’une nouvelle de Shi
Xiaoke (石小克),
« The
Foliage » (《美人草》)
est moins convaincant, malgré les deux stars qui en
interprètent les rôles principaux :
Shu Qi (舒淇)
et
Liu Ye (刘烨).
La
première interprète une jeune fille de Kunming, Ye
Xingyu (叶星雨).
Le film se passe en 1974, pendant la Révolution
culturelle ; Xingyu a été envoyée travailler dans un
village du Yunnan. Quand le film commence, elle
revient de Kunming voir son père malade et tente
d’obtenir l’autorisation de revenir vivre à ses
côtés, mais ne l’obtient pas. Elle rate alors son
bus pour revenir avec son équipe, sur son lieu de
travail ; un jeune qui voyage sur le toit fait
arrêter le bus sous prétexte que des bagages sont
tombés, et elle peut ainsi monter.
Elle fait
ainsi la connaissance de Liu Simeng (刘思蒙),
un jeune étudiant pékinois qui a été, lui aussi,
envoyé dans le coin. Au début, elle le trouve un peu
prétentieux, mais finit par se trouver attirée par
lui. Comme elle est fiancée avec un jeune qui
travaille dans une plantation de caoutchouc, Xingyu
devient source d’une querelle qui s’étend autour
d’elle aux amis des uns et des autres….
Le contexte
politique est à peine
The Foliage, Shu Qi et
Liu Ye
effleuré, et l’histoire semble avoir
été édulcorée, sans doute pour des raisons extérieures à la
volonté du réalisateur.
The
Foliage 《美人草》
The Obscure
(Xiao Shuo)
The Obscure (Xiao Shuo)
« The
Obscure» (《小说》) est un film extrêmement subtil qui n’a malheureusement pas eu l’accueil
qu’il mérite, mais il faut dire qu’il n’est pas fait non
plus pour le grand public.
C’est un film dont
la première heure consiste en un séminaire sur la poésie
auquel participent douze écrivains célèbres, qui jouent leur
propre rôle : A Cheng (阿城)、Wang
Shuo (王朔)、Ma
Yuan (马原)、Fang
Fang (方方)、Yu
Hua (余华)、Mian
Mian (棉棉),Zhao
Mei (赵玫),
Chen Cun (陈村),
Lin Bai (林白),
Ding Tian (丁天),
Xu Xing (徐星)
et Xu Lan (须兰).
Ils doivent
disserter sur la question : Est-ce que notre époque a encore
le sens de la poésie ? (“这个年代还有没有诗意”).
Chacun intervient à son tour.
Pendant qu’ils
parlent, assis autour d’une table, la jeune femme qui
organise la rencontre est assise sur le côté,
surveillant le
cours de la discussion et offrant à boire de temps en temps.
Au bout de la première demi-heure, le film fait un
flash-back et la montre au moment où, le matin, elle passe
dans les chambres de l’hôtel pour appeler les participants à
se rendre au séminaire ; à ce moment-là, elle aperçoit dans
le lobby de l’hôtel un homme qui est en rendez-vous
d’affaire ; ils se reconnaissent, et, après avoir échangé
quelques mots, décident de se voir plus tard.
Et le séminaire
reprend. A la fin, alors que la femme est prête à rentrer
chez elle, l’homme revient. Elle est d’abord réticente, mais
le suit ; ils vont faire un tour en ville, puis ils dînent
ensemble, et reviennent dans sa chambre ; la séquence se
clôt sur une étreinte passionnée. La caméra revient alors
vers les poètes auxquels il est demandé de donner leur avis
sur la suite de cette relation… avis très drôles, et dans
l’ensemble ni très poétiques ni très romantiques…
Lü Yue a demandé
aux deux acteurs, Wang Zhiwen (王志文)
et Wang Tong (王彤),
d’improviser la rencontre d’un ancien professeur avec celle
qui fut son élève et qu’il n’a pas revue depuis six ans.
L’idée était de confronter la théorie et la pratique de la
poésie. La confrontation est ironique.
Mais le plus
intéressant est qu’on peut voir dans ce film une suite
donnée à Mr Zhao. D’ailleurs le personnage interprété par
Wang Tong s’appelle Zhao…
The Obscure, en
quatre parties, avec sous-titres anglais
Thirteen Princess
Trees
Sans doute pour
faire quelque chose de plus attrayant pour le grand public,
Lü Yue a choisi un sujet social contemporain pour son film
suivant : les problèmes d’adolescents difficiles dans la
Chine d’aujourd’hui.
Sorti en 2006,
adapté d’un roman d’un écrivain de Chengdu, He Dacao (何大草),
le film se passe dans un collège imaginaire de Chengdu dont le nom est
celui du titre :
« Thirteen
Princess Trees » (《十三棵泡桐》).
Le film suit un
groupe de jeunes autour d’une adolescente rebelle, cheveux
courts et provocante ; le statu quo plus ou moins bien
établi entre les jeunes de la classe vole en éclat quand
arrive un outsider venu de Pékin.
Le film a des
qualités reconnues au festival de Tokyo où le jury lui a
décerné son prix spécial. Mais il a été laminé par la
censure, au point qu’il est difficile de se rendre compte de ce qu’étaient vraiment, à l’origine, les intentions de Lü
Yue. On se demande s’il était raisonnable de choisir un
sujet particulièrement sensible qui ne pouvait être traité à
fond dans les conditions actuelles de censure en Chine.
Il ne revient
derrière la caméra que sept ans plus tard, pour un court
métrage.
One Dimension
« One Dimension »
(《一维》)
est un court métrage de 17 minutes sorti en août 2013 et
réalisé dans le cadre du programme « Beautiful 2013 » (美好2013)
issu de la collaboration entre youku et le festival
international du film de Hong Kong (HKIFF)
[2].
C’est un film en
noir et blanc au style très original, inspiré
Thirteen Princess
Trees
One Dimension
de l’art du
théâtre d’ombres, qui brode sur une fable bouddhiste sur le
bien et le mal. Le scénario est adapté d’une nouvelle de Lu
Qiao (鹿桥)
tirée de son recueil « Fils » (《人子》).
One dimension
《一维》
Lost, Found
Lost, Found
Sur un scénario de
la scénariste Qin Haiyan (秦海燕), « Lost, Found » (《找到你》)
est un film sur l’enlèvement d’un enfant, mais pas
seulement ; c’est surtout un portrait et une étude
socio-psychologique de la mère de l’enfant et de sa jeune
nounou. Le titre chinois signifie « Toi et moi ».
La mère, Li Jie (李捷),
est une avocate en procédure de divorce. La nounou Sun Fang
(保姆孙芳)
a un passé trouble et une vie difficile.
Avec deux superbes
actrices, Yao Chen (姚晨)
dans le rôle de la mère, et Ma Yili (马伊琍)
dans celui de la nounou, Sun Fang (保姆孙芳),
le film évite les clichés et le mélodrame. Il était l’un des
films chinois en compétition au festival international du
film de Shanghai en juin 2018.
Trailer
Filmographie en
tant que réalisateur :
1998 Mr.
Zhao
《赵先生》 Léopard d’or au
festival de Locarno