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« Wheat », un film injustement méconnu de He Ping
par Brigitte Duzan,
20 juin 2009,
révisé 3 mai 2014
He Ping (何平)
a présenté « Wheat » (《麦田》)
en ouverture du festival de cinéma de Shanghai, en
juin 2009. Cela faisait six ans qu’il travaillait
sur ce film, après le semi-échec du précédent
« Les
guerriers de l’empire céleste » (《天地英雄》).
« Wheat » cumulait les atouts d’un scénario bien
construit, d’images superbes et d’excellents
interprètes. Il n’a pourtant pas eu le succès
mérité.
Il s’agit
d’un drame historique, mais sur un thème
inhabituel : le sort des femmes laissées chez elles
quand les hommes partent en guerre, dans le cadre
très précis de la grande bataille de Changping (长平之战),
en 260 avant JC.
Une histoire de femmes au temps des Royaumes
combattants
« Wheat » se passe
durant la période cruciale qui va mener à la
victoire finale de l’Etat de Qin et à la fondation
du Premier Empire. A cette époque, à partir du
cinquième siècle avant |
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Wheat |
Jésus-Christ, le territoire
chinois était divisé
entre de nombreux Etats qui se
livraient des guerres incessantes pour tenter d’acquérir la
suprématie sur leurs voisins. Au début du 3ème siècle, ils
n’étaient plus que sept : outre Qin (秦)
qui va réaliser l’unification en 221 avant Jésus-Christ, Chu
(楚), Han (韩),
Qi (齐), Wei (魏),
Yan (燕) et Zhao (赵).
Les historiens chinois les appellent les « sept puissances
de la période des Royaumes combattants (战国七雄
Zhànguó Qīxióng).
Le film de He Ping se passe dans l’Etat de Zhao.

L’équipe du film le
présentant au festival de Shanghai |
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En 265
avant Jésus-Christ, le roi Zhaoxiang de Qin (秦昭襄王)
envahit la province de Shangdang (上党)
de l’Etat de Han, avec l'intention de l'annexer. Le
roi de Han pensa alors se tirer d’affaire en offrant
cette province à son voisin de Zhao, le roi
Xiaocheng (赵孝成王),
qui l’accepta, contre l’avis de ses conseillers. Ils
avaient bien raison : cela devait les conduire à
leur perte. Le roi de Qin, en effet, se retourna
contre Zhao et l’attaqua. Les deux armées,
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comptant au
total plus d’un million d’hommes, ce qui était énorme pour
l’époque, se rencontrèrent à Changping (dans l’actuel
Shanxi) en 262 avant Jésus-Christ. Mais la bataille, célèbre
dans les annales, tourna à la guerre de position et dura
plus de trois ans.
Finalement, Zhao fut vaincu : l’Etat perdit plus de
450 000 hommes, dont 400 000 – selon les annales -
furent pris par l’ennemi et enterrés vivants. Qin
subit à peu près autant de pertes, mais sut refaire
ses forces pour repartir au combat. Zhao ne se remit
jamais de cette défaite et fut par la suite une
proie facile pour son puissant voisin.
Mais,
dans ce cadre historique, ce qui a intéressé He
Ping, c’est le sort des femmes restées seules après
le départ des hommes à la guerre, et plus
généralement la philosophie de la guerre, et de ceux
qui la font. |
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Carte des Royaumes
combattants vers 260 av JC |
Un film superbe
Le film se
veut un divertissement, mais il pose aussi des questions
profondes.
Un scénario
subtilement structuré

Une époque de violence |
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Le
film commence à la fin de l’été, alors que le blé
est prêt à être moissonné. La caméra balaie des
champs dorés à perte de vue, jusqu’à se fixer sur
les remparts de la ville de Luyi (潞邑) ;
c’est là qu’habite dame Li, dont le mari doit partir
à la guerre avec les autres hommes de la ville. Il
va falloir que les femmes s’occupent de la récolte
et de l’administration de la ville en l’absence de
leurs époux.
Le
scénario reste éloigné des événements historiques et
du conflit lui-même, pour se concentrer sur les
conséquences de l’absence |
des hommes sur la
vie des femmes dans la petite ville. C’est une histoire
proche de la nature, caractère souligné par la structuration
en cinq parties correspondant aux cinq éléments de la pensée
et du système symbolique chinois : métal (ici l’or), bois,
eau, feu et terre.
1.
Jours d’Or :
la jeune dame Li se marie avec un seigneur plus âgé.
Mais arrivent immédiatement les nouvelles de
l’approche des troupes de Qin. Le nouvel époux
réquisitionne tous les hommes, ainsi que les enfants
à partir de douze ans (d’où les conséquences
dramatiques de la défaite ultérieure) et part au
combat.
2.
Jours de Bois :
la bataille de Changping est terminée ; deux soldats
Qin décident de déserter pour retourner moissonner
dans leur village.
3.
Jours d’Eau :
ils se cachent dans les |
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Le mariage de dame Li
au début du film |
champs de blé pour
éviter de se faire prendre par les soldats de Qin qui les
poursuivent ; s’étant jetés à l’eau, ils sont portés par le
courant jusqu’à la ville de Luyi où ils sont accueillis par
les femmes. Pour sauver leur peau, ils prétendent être des
soldats de Zhao et tentent de gagner du temps en racontant
que Zhao a été vainqueur et qu’ils sont des héros. Mais tout
le monde n’est pas convaincu…
4. Jours de Feu :
des bandits ralliés à Qin arrivent en ville. Les deux
déserteurs doivent réfléchir vite pour tenter à nouveau de
sauver leur tête.
5.
Jours de terre….
Travail sur
l’image
Le film est porté
par un lyrisme visuel cher à He Ping, et caractéristique de
ses films antérieurs. La photo est superbe, que ce soit les
extérieurs, avec l’or des blés murs, ou les scènes
d’intérieur qui jouent sur le clair-obscur, ou encore des
prises de vue planantes, du haut d’une grue. Elle est signée
Zhao
Xiaoshi (赵晓时):
c’est lui qui fut le chef-opérateur de
Jiang Wen (姜文)
pour « Les
démons à ma porte » (《鬼子来了》)
et celui de
Chen Kaige pour « Mei Lanfang » (《梅兰芳》).
Bande annonce :
http://video.mtime.com/16724/?mid=85798
Divertissement
pour tout public, cultivé ou pas

Dans les champs de blé
: or |
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He Ping a,
de toute évidence, travaillé à rendre son film
attrayant pour le plus large public possible, en
Chine et ailleurs. Le cadre historique n’est qu’un
prétexte ; le scénario mêle drame et humour comme
l’aiment les Chinois, avec quelques références au
cinéma japonais : les deux déserteurs, par exemple,
sont des rigolos bornés et lâches qui font penser
aux deux paysans du film de Kurozawa « La forteresse
cachée » (1). |
Mais c’est aussi
un film qui se veut une réflexion sur l’absurdité de la
guerre, et le danger des rumeurs qui se répandent comme une
traînée de poudre et finissent par jouer un rôle insidieux
dans la formation des opinions et les prises de décision.
Pas seulement en temps de guerre.
Excellents acteurs
Malgré
tout, ce qui attire le grand public, et tout
particulièrement en Chine, ce sont les stars. La
publicité a surtout mis l’accent sur le casting, qui
aligne six vedettes très populaires :
Fan Bingbing (范冰冰),
Wang Xueqi (王学圻),
Wang Zhiwen (王志文),
Wang Ji (王姬),
Huang Jue (黄觉)
et Jin Yaqin (金雅琴).
Fan
Bingbing était la starlette qui monte. Elle a fait
sensation lors de la présentation du film, au
festival, la veille de l’ouverture, en y allant
d’une petite larme avant d’arborer un
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L’un des deux
déserteurs (Huang Jue) |
grand
sourire : succès immédiat et grands titres dans les
journaux.
Présentation du
film au festival de Shanghai http://video.sina.com.cn/ent/m/c/2009-06-13/201344266.shtml
Dans « Wheat »,
elle interprète le rôle principal, cette dame Li dont
l’époux d’une nuit est interprété par le vétéran
Wang Xueqi (王学圻) ;
elle n’a jamais été aussi bien, dans aucun de ses rôles
ultérieurs.
Les deux
déserteurs sont interprétés par Huang Jue (黄觉)
(2) et un débutant au cinéma : Du Jiayi
(杜家毅).
Wang Ji (王姬)
campe la devineresse-shaman attitrée de dame Li. Quant à Jin
Yaqin (金雅琴),
c’est l’actrice qui interprétait l’adorable vieille dame
acariâtre du film de
Ma
Liwen (马俪文)
« Toi
et moi » (《我们俩》).
Un film trop
peu connu
« Wheat » est
malheureusement resté méconnu. Il était difficilement
exportable, c’est le problème des films chinois dont le
scénario a pour cadre des événements historiques que le
public étranger connaît mal, ou pas du tout, et surtout,
comme « Wheat », qui sont le reflet d’une culture et d’une
pensée difficiles à appréhender sans préparation.
Avec un budget de
6 millions de dollars, cependant, le film pouvait être
rentable sur le seul marché chinois. Les producteurs sont,
outre le studio de Xi’an, la propre société de production de
He Ping, Beijing Classic Culture, et le groupe Polybona qui
en assura aussi la distribution et s’affirmait ainsi, déjà,
comme l’un des principaux acteurs sur le marché
cinématographique chinois.
C’est encore un
film à découvrir.
Wheat (avec
sous-titres anglais)
http://tv.sohu.com/20091113/n268194031.shtml
Notes
(1) Un film de
1958 (en chinois《战国英豪》),
Ours d’argent au festival de Berlin 1959, que Kurozawa
avait, justement, destiné tout particulièrement au grand
public : il relate avec beaucoup d'humour l’aventure épique,
au 16ème siècle, de deux paysans cupides et
trouillards qui accompagnent dans sa déroute un chef de clan
vaincu, parti, avec son trésor et l’héritière du clan,
s’installer ailleurs.
(2) Huang Jue a
été particulièrement remarqué, dans ce film ; aussitôt
après, il a joué dans de très bons films :
en 2004 dans
« Baobe in love » (《恋爱中的宝贝》)
de
Li
Shaohong (李少红)
et
« Letter
from an unknown woman » (《一个陌生女人的来信》)
de
Xu
Jinglei (徐静蕾),
et en 2005 dans
« Everlasting
regret
»
(《长恨歌》)
de
Stanley Kwan (关锦鹏).
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