« The Taste of
Rice Flower » : un second film très réussi de Pengfei
par Brigitte Duzan, 10 septembre 2017
Second film de
Pengfei (鹏飞),
« The
Taste of Rice Flower » (《米花之味》) a été sélectionné en
compétition dans la section Venice Days de la
74ème
Biennale de Venise,
en 2017.
Une histoire de retour au pays
Suite …
« The
Taste of Rice Flower » reprend en fait là où nous
avait laissés le premier film de Pengfei,
« Underground Fragrance » (《地下香》).
En effet, celui-ci nous présentait la vie dans la
capitale de jeunes migrants venus de leurs
lointaines campagnes travailler en ville, dans des
conditions très dures.
Pengfei a
ensuite eu l’idée de les suivre à leur retour chez
eux. Pour cela, il est allé voir des travailleurs
sociaux, et ceux-ci l’ont mis en contact avec des
migrants venus du Yunnan. Pengfei est parti sur
place, et y est finalement resté un an pour préparer
son film ; il porte
The Taste of Rice
Flower
donc la marque de
ses impressions et ce qu’il a lui-même vécu pendant qu’il
était là-bas
[1].
Chez les Dai
Là-bas, c’est le sud du Yunnan, dans un village Dai.
Les Dai (傣)
sont l’un des 56 groupes ethniques de Chine ; proches des
Thaïs de Thailande, ils vivent au sud du Yunnan, dans la
préfecture autonome dai du Xishuangbanna et la préfecture
autonome dai et jingpo de Dehong (德宏傣族景颇族自治州)
limitrophe de la Birmanie. Le film a été tourné là, à la
frontière sino-birmane.
Retour au village
Ye Nan, une femme dai qui était partie travailler en ville,
revient dans son village. On lui demande : comment se
fait-il que tu reviennes ? – Parce que j’ai été licenciée,
répond-elle. On n’en saura guère plus, sauf, de la bouche de
sa fille, qu’elle est divorcée. C’est suffisant. Le contexte
est posé.
La saveur du riz
Car elle a
une fille, d’une douzaine d’années, Nan Hang, restée
aux soins du père de Ye Nan. L’enfant est devenue
comme tous les enfants « laissés en arrière » de
Chine
[2] :
rétive et difficile. Elle passe son temps avec une
camarade à jouer à des jeux vidéo dans une boutique
de jeux où se retrouvent tous ces enfants du
village, et, quand Ye Nan arrive, elle apprend que
Nan Hang a volé des offrandes dans le temple, en
compagnie d’une camarade qui est comme son âme
damnée.
Son père accueille Ye Nan comme si son retour était
parfaitement naturel, aussi naturel que le passage des
saisons : elle était partie, elle est revenue. Ce qui est
moins naturel, pour Ye Nan, c’est de retrouver un contact
affectif avec sa fille. L’enfant se raidit, et reste sur la
défensive.
Après leur vol au temple, la camarade de Nan Hang
tombe malade ; les villageois pensent que les deux
enfants sont possédées par un démon, un esprit
maléfique. En même temps, le village prépare la fête
dite « d’aspersion de l’eau » (Water-Sprinkling
Festival), qui est la fête du Nouvel An chez les
dai, célébrée en avril, période effective du
tournage du film. C’est une fête traditionnelle
fortement teintée de bouddhisme, les dai pratiquant
le bouddhisme theravada depuis le huitième siècle.
Communion dans une
ancienne tradition
Dans ce contexte, les parents de l’enfant malade font venir
une devineresse, une sorte de pythie locale habitée par le
Dieu des montagnes dont elle transmet les paroles. Le
verdict est clair : les deux filles seront sauvées en allant
se prosterner, pendant la fête, devant le Bouddha de pierre
qui se trouve dans une grotte non loin du village.
Entre modernité et tradition
Une fable
La grotte et ses
ombres, retour aux sources
Alors que le village bruit de l’excitation d’avoir
bientôt un aéroport proche, qui augure bien d’un
avenir placé sous le signe de la modernité, les
retrouvailles de la mère et de sa fille se font donc
sous les auspices d’un retour à la tradition et au
passé, et sous le signe de l’eau qui est à la fois
symbole de la fête et symbole de la compassion du
bouddha dans la grotte.
C’est une sorte de communion dans la tradition
ancestrale, dans l’esprit des ancêtres, qui permet à
l’enfant et à sa
mère de retrouver leur âme : par un véritable exorcisme qui
favorise le retour aux mânes ancestrales, un retour aux
sources qui passe par la religion.
« The
Taste of Rice Flower » se lit donc comme une fable, ou une
allégorie discrète.
Une touche discrète
Il est filmé avec la distance discrète qui sied à la fable.
Les sentiments restent retenus, sans débordements, de
ressentiment, de colère, de frustration ou autre. Il n’y a
guère de gros plans sur les visages, non plus, pour
accentuer l’émotion, et quand on voit Ye Nan essuyer une
larme, c’est tellement fugace qu’on se demande si on a bien
vu cette larme.
Le film est nimbé dans les couleurs naturelles du Yunnan,
filmées en grand angle, tout comme il respire l’esprit du
lieu, sans excès folkloriques ; la modernité des jeux vidéo
et de leurs néons côtoie les couleurs chaleureuses du bois
des maisons, de la végétation et de la terre. On ne ressent
pas vraiment de conflit, les signes de modernité semblent se
lover dans un coin de cette nature exubérante. Pengfei a
bien évité les clichés.
Un mot sur l’actrice Ying Ze…
Le film révèle le talent de l’actrice Ying Ze (英泽),
qui jouait déjà dans le premier film de Pengfei,
« Underground
Fragrance » (《地下香》),
mais sans la même profondeur ; on se dit même a
posteriori qu’elle n’était sans doute pas très à
l’aise dans son rôle de pole dancer ratée.
Elle est diplômée de la London School of Economics
où elle a fait des études de politique sociale et de
criminologie. Elle a terminé ses études en 2013, et,
rentrée en
L’actrice Ying Ze dans
le rôle principal
Chine, a commencé une carrière d’actrice avec Pengfei. Elle
a ensuite continué à travailler avec lui pour
« The
Taste of Rice Flower » dont elle est également
coscénariste.
… et sur l’équipe technique
Les détails
techniques du film sont particulièrement soignés : ils sont
signés d’une équipe qui est celle des films récents de Tsai
Ming-liang, comme un relais de maître à disciple
[3].
Et après ?
Pengfei annonce un film sur sa découverte de cette région
dai du Yunnan, que l’on attend avec curiosité.