Actrice et chanteuse célèbre dans les années 1930 et
1940, Zhou Xuan a enregistré plus de 200 chansons et
joué - et chanté - dans une quarantaine de films
réalisés par les plus grands cinéastes de l’époque.
A la fin des années 1940, elle était devenue l’une
des « Sept grandes stars de la chanson » en Chine,
mais elle a connu un destin tragique.
De Pu Su à Zhou Xuan
Née en 1918, elle s’appelait Su Pu (苏璞)
à sa naissance, mais a très tôt été séparée de ses
parents et élevée à Shanghai par des parents
adoptifs qui lui ont donné son patronyme Zhou
周.
Elle a cherché ses parents biologiques toute sa vie
mais en vain ; ils ne furent retrouvés qu’après sa
mort. D’après des recherches généalogiques
ultérieures, c’est un opiomane de la famille qui
l’aurait vendue à l’âge de trois ans.
Zhou Xuan
La troupe de Li
Jinhui, avec Wang Renmei au premier plan
En 1932, elle entre dans la troupe de chant et de
danse Bright Moon (明月歌舞团)
de Li Jinhui (黎锦晖)
[1],
troupe qui avait intégré la Compagnie Lianhua
l’année précédente et a donc joué un rôle important
dans la production cinématographique de l’époque.
Après avoir décroché le second prix à un concours de
chant, elle est surnommée « la Voix d’or » (金嗓子).
Elle n’a que quatorze ans.
Elle prend le nom de scène de
Zhou Xuan (周璇)
[2]
et débute au cinéma en 1934 ; son premier rôle
notoire est celui qu’elle interprète l’année suivante dans
« Les enfants de Chine (《风云儿女》)
de Xu Xingzhi (许幸之),
où elle joue aux côtés de Wang Renmei (王人美),
la star de la troupe de Li Jinhui, mais aussi de
Yuan Muzhi (袁牧之)
qui se souviendra d’elle deux ans plus tard.
En effet, si elle tourne dans six autres films en
1935 et 1936, elle est choisie par Yuan Muzhi pour
interpréter le rôle de Xiaohong (小红)
dans son film
« Les
Anges du boulevard » (《马路天使》)
en 1937 : Xiao Hong qui était le deuxième prénom de
Zhou Xuan, la Xiaohong du film étant une enfant
adoptée elle aussi.
« Les
Anges du boulevard »était l’un des premiers films sonores en
Chine, remarquable pour son mélange de mélodrame et
de comédie qui restera un modèle du genre, en
particulier pour son utilisation innovante de la
musique, avec des intermèdes musicaux interprétés
par Zhou Xuan.
Dans « Les Anges du
boulevard »
Tianya genü
Le film fait d’elle l’une des stars du cinéma et de la
chanson les plus populaires de l’époque, son ascension étant
parallèle à celle du gramophone. Elle enchaîne alors les
rôles au cinéma.
De Shanghai à Hong Kong
Dans « L’Histoire de
la Chambre de l’Ouest »
Au début des années 1940, elle joue en particulier
le rôle de Hong Niang (红娘)
dans le dernier film réalisé par
Zhang Shichuan (张石川),
en 1940, « L’Histoire de la Chambre de l’Ouest » (Xixiangji《西厢记》),
et celui de Lin Daiyu dans l’adaptation du « Rêve
dans le pavillon rouge » (Hongloumeng《红楼梦》)
réalisée par
Bu Wancang (卜万苍)
en 1944.
Entre 1946 et 1949, elle tourne plusieurs films à
Hong Kong, avec des réalisateurs venus de Shanghai,
à commencer par « An All-Consuming Love » (《长相思》)
de He Shaozhang (何兆璋)
sorti au tout début de 1947. Parmi les films tournés
à Hong Kong figurent de superbes réalisations de
1947 et 1948, comme « Night Inn » (《夜店》)
de Huang Zuolin (黄作霖)
adapté des « Bas-Fonds » de Gorky, ou « Song of a
Songstress» (《歌女之歌》)
de Fang Peilin (方沛霖),
Dans la plupart de ces films, Zhou Xuan interprète
des rôles inspirés par celui des
Song of a Songstress
« Anges du boulevard », avec des intermèdes chantés qui
contribuent à la vogue du shidaiqu à Hong Kong.
Cependant, le film sans doute le plus connu de cette
période prolifique du cinéma de Hong Kong dont on
parle peu est
« L’Histoire
secrète de la cour des Qing » (《清宫秘史》)
réalisé par
Zhu Shilin (朱石麟)
et sorti à Hong Kong en décembre 1948. Zhou Xuan y
interprète un rôle peu habituel pour elle, l’un des
rares où elle ne chante pas : celui, tragique, de la
troisième épouse Zhenfei de l’empereur. Le fait que
la plupart des affiches portent une photo de Zhou
Xuan alors qu’elle n’a pas le rôle principal montre
bien la célébrité et la popularité dont jouissait
alors l’actrice.
Histoire secrète de la
cour des Qing
Et retour à Shanghai
Après quelques derniers films, dont « Flower Street
» (《花街》)
de Yueh Feng (岳枫),
sorti à Hong Kong en 1950, elle rentre à Shanghai.
Il faut bien dire qu’aucun des films qu’elle y
tourne ensuite ne restera dans les annales. Elle est
surtout plongée dans des crises de dépression.
Ce qui reste de la star, à ce moment-là, c’est
surtout l’image d’une femme ayant subi plusieurs
mariages malheureux, dont la vie est souvent
présentée comme un vrai mélodrame. Certains de ses
biographes mettent l’accent
Publicité pour Flower
Street, 1950
sur cet aspect de sa vie, au détriment de sa carrière
d’actrice et des films qu’elle a tournés. Il est vrai que
son premier mariage a été désastreux, et s’est terminé par
un divorce en 1941, après une fausse couche et une tentative
de suicide.
Quand elle rentre à Shanghai, après avoir été victime d’une
escroquerie, et volée de ses économies, elle reste fragile.
Une nouvelle rencontre semble être plus heureuse, mais, en
1957, au moment de la campagne anti-droitiers, elle est
hospitalisée dans un hôpital psychiatrique à la suite d’une
nouvelle dépression nerveuse. Elle y meurt le 22 septembre
1957, à l’âge de 39 ans.
Il nous reste ses films et ses chansons, dont certaines sont
célèbres. L’une d’elles, par exemple, tirée du film « An
all-Consuming Love », ou « Endless Yearning » de He
Shaozhang, est celle dont le titre a été choisi par
Wong Kar-waipour le titre chinois de
« In
the Mood for Love » :
Huayang de nianhua《花样的年华》.
Une autre de ses chansons à succès, « Sourire éternel » (Yongyuan
de weixiao
《永远的微笑》),
également tirée d’un film de Hong Kong de la même époque, a
été choisie par
Johnnie To (杜琪峰)
pour la bande-son de son film « Election » (《黑社会》) :
[1]Né en
1891, Li Jinhuiest un
compositeur et parolier considéré comme le « père de
la musique populaire chinoise » (汉语流行音乐).
Il a créé un type de chanson très populaire à
Shanghai à partir des années 1920, appelé
shidaiqu (时代曲),
littéralement « air du temps ». Le genre a connu son
apogée dans les années 1940 puis, dénoncé comme
« musique jaune » (黄色音乐),
il a disparu dans la Chine communiste au début des
années 1950. La tradition s’est alors déplacée vers
Hong Kong. C’est l’origine du cantopop. Li
Jinhui a été battu à mort en 1967, au début de la
Révolution culturelle.
[2]Xuán ou
« beau jade » tandis que son prénom d’origine Pú
signifiait
« gemme non polie ».