Mark Lee Ping-bin est un célèbre
photographe taïwanais devenu l’un des plus grands
directeurs de la photographie du cinéma
contemporain, avec à son actif quelque soixante-dix
films et la réputation d’être un maître de la
lumière. C’est un artiste charismatique et hors
normes.
Débuts à la CMPC
Mark Lee Ping-bin est né à Taiwan en
août 1954. Son père est mort quand il était enfant,
et il a été élevé par sa mère.
Il a commencé sa carrière en 1977, à
la Central Motion
Picture Corporation
(CMPC),
le grand studio d’Etat taïwanais créé en 1963, après
y être entré de justesse alors qu’il était en liste
d’attente. Le destin, dit-il.
A la CMPC, le cinéma traverse alors
une période d’ajustement après la reconnaissance de
la Chine populaire par les
Mark Lee Ping-bin
Kulian
(Portrait of a Fanatic)
Etats-Unis et l’isolement de Taiwan
sur la scène internationale. L’heure est aux « films
nationaux ». Lee Ping-bin se souvient en outre d’une
sorte de travail de caste dans le domaine technique,
tout le monde appliquant des règles et des codes
établis, sans réfléchir et sans expliquer aux
nouveaux venus.
Lee Ping-bin a travaillé en
particulier comme assistant sur « Unrequited Love »,
rebaptisé « Portrait of a Fanatic » (Kulian《苦恋》),
la version taïwanaise du film interdit en République
populaire réalisée par Wang Tung (王童)
à la CMPC en 1982
[1].
Le chef opérateur du film Lin Hong-zhong a obtenu le
prix de la meilleure photographie au festival du
Golden Horse à Taipei en 1982.
C’est deux ans plus tard qu’il
travaille pour la première fois comme chef opérateur
à part entière : sur « Run Away » (《策马入林》),
de Wang Tung également. C’est un film de wuxia
commandé par le studio, mais la photo est très
remarquée, et attire l’attention, en particulier, de
Hou Hsiao-hsien,
qui l’invite à travailler sur le film qu’il est en
train de préparer : « Un temps pour vivre, un
temps pour mourir » (《童年往事》).
Hou Hsiao-hsien et un autre cinéma
Run Away
Un temps pour vivre,
un temps pour mourir
Ce film marque le début d’une longue
collaboration avec Hou Hsiao-hsien, au début du
mouvement du nouveau cinéma taïwanais auquel Lee
Ping-bin a apporté sa propre contribution, en
s’affranchissant des règles et normes de la
profession, en particulier sur le plan de la lumière
et de la couleur.
Lumière et couleurs
C’est ce qui revient régulièrement dans leurs interviews :
la préoccupation de
Hou Hsiao-hsien d’avoir la
lumière la plus naturelle possible, hors projecteurs, la
voulant constamment plus sombre ( 暗),
au point d’obliger parfois Lee Ping-bin à tricher, sans rien
dire pour ne pas inquiéter inutilement le réalisateur, et à
utiliser des filtres et des « trucs » inventés pour
l’occasion pour obtenir la lumière diffuse que rêvait Hou
Hsiao-hsien, à la limite de l’obscurité et des capacités de
la caméra.
Le nouveau cinéma, c’est cela aussi, la lumière et les
couleurs : lumière tamisée des « Fleurs
de Shanghai », couleurs travaillées du « Maître
de marionnettes ».
Nature
Travailler avec Hou Hsiao-hsien a
aussi été une école de la nature qui a formé tout un
aspect de la personnalité de Lee Ping-bin. Il
raconte ainsi que, alors qu’il était prévu de filmer
l’une des séquences de « Un temps pour vivre, un
temps pour mourir » sous un ciel bleu et un beau
soleil, le jour du tournage, les éléments se sont
déchaînés. Lee Ping-bin a convaincu Hou Hsiao-hsien
de filmer la tempête : c’est l’une des plus belles
scènes du film.
Le soleil se lève
aussi, le train fantôme à la fin du film
Le soleil se lève
aussi, cadrage dans la brume
Autre exemple resté dans les annales,
la dernière partie du superbe film de
Jiang Wen (姜文)
« Le
soleil se lève aussi » (《太阳照常升起》)
devait se passer en plein désert, donc sous un
soleil éclatant, dans un décor de dunes de sable
doré. De manière incroyable, il s’est mis à neiger,
chose inouïe que même les vieillards de la
population locale ne se souvenaient pas avoir jamais
vue. Lee Ping-bin a profité de ce qu’il a considéré
comme un cadeau du ciel et la scène dans le désert
sous la
neige participe du rêve éveillé qu’est le film, en grande
partie grâce à ses images.
Mais c’est un prix partagé avec
Christopher Doyle, le chef opérateur habituel de
Wong Kar-wai à
partir de « Nos années sauvages » (《阿飞正传》)
en 1991 ; à cause du retard pris dans le tournage du
film, Christopher Doyle a dû abandonner le tournage,
et Mark Lee Ping-bin a pris sa suite.
Wong Kar-wai après
Hou Hsiao-hsien,
c’est une autre école, mais finalement la même
recherche identitaire dans la
In the Mood for Love,
jeux d’ombres
mémoire du passé, et en particulier celle de l’enfance… Mais
l’originalité n’est plus tant dans la lumière que dans les
cadrages, et une certaine lenteur comme réflexive dans
l’approche du sujet.
« In the Mood for Love »lui doit
beaucoup. Wong Kar-wai a comparé ses deux chefs opérateurs :
si Christopher Doyle est un marin, a-t-il dit, Lee Ping-bin
est un soldat.
Sylvia Chang (张艾嘉),
qui a travaillé avec lui en 1999 pour « Tempting Heart » (《心动》)
l’a également défini ainsi, pour la tension et la
concentration qu’il met dans son travail en tournage.
Poète de la lumière et de l’ombre
Sur le tournage de The
Assassin, avec le directeur du son, Tu Tu-chih
Mais il est surtout un poète, dont la
matière première est dans les jeux de lumière et
d’ombres, les jeux de couleurs tamisées et d’ombres
dans la brume.
Après avoir travaillé avec les plus
grands réalisateurs de son temps, c’est par la
poésie de l’image que se caractérise surtout Lee
Ping-bin aujourd’hui,
mais
une image maîtrisée, d’une beauté presque abstraite,
C’est une image qui a abandonné la
nostalgie pour les reflets de l’irréel, dans la
brume et dans l’eau, comme dans celles du récent
film de
Yang Chao (杨超)
pour lequel il a obtenu l’Ours d’argent pour
contribution artistique exceptionnelle à
la 66ème Berlinale, en février
2016 :
« Crosscurrent » (《长江图》).
Crosscurrent, poésie
surréelle de l’image
Livre
2009 Recueil de ses photographies intitulé « Mark Lee
Ping-bin : a Poet of Light and Shadow »《光影诗人李屏宾》
Conversation avec
Hou Hsiao-hsien et Marc Lee
Ping-Bin, le 13 octobre 2015 au Samuel Goldwyn Theater, en
marge des Academy Awards:
« Let the Wind Carry Me »《乘着光影旅行》,
documentaire sur Lee Ping-bin tourné en 2009 par le
réalisateur taïwanais Chiang Hsiu-chiung (姜秀琼)
et le chef opérateur et réalisateur hongkongais Kwan Pun-leung (关本良)
:
Revue Positif n°641, juillet 2014 : « Mark Lee Ping Bing,
maître des lumières et des couleurs » par Hubert Niogret.
[1]
Adaptation du célèbre roman de Bai Hua (白桦),
sur un peintre persécuté pendant la Révolution
culturelle. L’adaptation en Chine populaire a
déclenché une vive controverse, et une campagne
contre Bai Hua et le film, à l’instigation de Deng
Xiaoping lui-même.