Sept
réalisateurs pour les 70 ans de la République populaire
par Louise Goyette, 7 octobre 2019
« Ma Patrie et moi »
(《我和我的祖国》)
est sorti dans les salles de cinéma chinoises le 30
septembre 2019, la veille des commémorations du 70e
anniversaire de la fondation de la République populaire. Ses sept épisodes ont été réalisés par sept des meilleurs
réalisateurs chinois du moment, dont
Chen Kaige (陈凯歌).
Fondé sur des évènements historiques idéalisés à des fins de
propagande, le film se veut un hommage aux héros méconnus.
Chaque épisode contient des extraits de films d’époque
intégrés aux éléments fictifs du récit, contribuant ainsi
tant bien que mal à conférer un aspect authentique au
scénario.
Le fil conducteur (très rouge) de Chen Kaige
et du producteur
Huang Jianxin (黄建新)
est le lien filial (au sens confucéen du terme) qui unit le
destin individuel de citoyens ordinaires à celui collectif
de leur patrie. Au fil de sept événements marquants qui
ont jalonné l’histoire de la Chine depuis 1949, une main
calligraphiant de jolis caractères enchaîne les
Ma Patrie et moi
épisodes comme une peinture traditionnelle que l’on déroule.
Avec sept réalisateurs, le style et la
qualité varient bien sûr beaucoup d’un segment à l’autre.
Ils ont cependant tous un point commun : c’est toujours
l’esprit de Lei Feng (雷锋)
qui règne d'un bout à l'autre du film, ce fameux héros de
propagande fabriqué de toutes pièces dans les années 1950-60
à la gloire du Grand Timonier, fondateur de la République
dont on célèbre ici l’anniversaire.
Pour la cérémonie du 1er octobre 1949,
l’ingénieur Lin Zhiyuan (林治远
joué par
Huang Bo
黄渤)
s’est occupé de la levée du drapeau en s’assurant que rien
n’était laissé au hasard. La veille de la cérémonie,
utilisant un prototype de l’installation du mât, il
découvrit une faille dans le mécanisme de levée. Mais, grâce
à la fourniture d’objets en métal de camarades de son
village, l’ingénieux héro fabriqua une nouvelle pièce. A la
dernière minute il se rend sur la place Tian’anmen afin de
bravement installer cette pièce au risque de sa vie tout en
haut du mât. Ces difficultés surmontées avec abnégation, le
président Mao n’a plus qu’à appuyer sur le bouton qui lance
le déploiement du drapeau rouge ornée de cinq étoiles,
révélant la « Nouvelle Chine » au monde entier.
Guan Hu a mis le paquet dans la plus pure
tradition des films de propagande soviétique ou
nord-coréenne : foules éblouies dans une mer de drapeaux
rouges ondulant au rythme de « La Marche
des Volontaires » (l’hymne national de la Chine) : 起来!不愿做奴隶的人们!« Debout
! Les gens qui ne veulent plus être des esclaves ! » etc. Le
ton est donné pour le reste du film…
Le deuxième épisode porte sur les ingénieurs
à l’origine du succès de la première explosion d’une bombe
atomique en Chine le 16 octobre 1964 sur le site d'essai
nucléaire de « Lop Nor » dans la région autonome
ouïghoure du Xinjiang. Une histoire d’amour
mettant en vedette les acteurs Zhang Yi(张译)et
Ren Suxi
(任素汐)
apporte un zeste de romantisme à ce segment incongru où
affection et destruction se côtoient.
3. The Champion
(Le champion)(《奪冠》)
Réalisateur: Xu Zheng 徐峥
Pour la première fois en 1984, la République
populaire de Chine envoie une délégation de 216 athlètes aux
Jeux olympiques de Los Angeles : l’équipe féminine de
volley-ball y remporte la médaille d’or. L'euphorie envahit
Shanghai et les gens se massent dans les ruelles pour suivre
l’action sur une télévision munie d’une antenne de fortune. Un jeune garçon nommé Dong Dong (Han Haolin
韩昊霖)
se sacrifie afin de tenir l’antenne sur un toit pour que les
gens puissent regarder la fin du match.
Encore une fois, c’est l’esprit Lei Feng de
dévouement patriotique qui est mis en scène au moyen d’un
scénario amusant. Xu Zheng est le spécialiste de la comédie
burlesque, auteur, entre autres, de
« Lost
in Thailand » (《泰囧》).
La réalisatrice s’est ici penchée sur la
rétrocession de Hong Kong à la Chine à minuit 1er
juillet 1997. Toujours au moyen d’une cérémonie en grande
pompe, « l’intrigue » porte sur la précision absolue de la
levée du drapeau chinois sur l’ancienne colonie britannique,
à la seconde près. En focalisant sa caméra sur ce détail
temporel, l’auteure escamote le vrai sujet au cœur des
préoccupations des Hongkongais de l’époque… et de nos jours,
la crainte d’être rapatriés dans un Etat où la justice est
au service d’un Parti unique. Eu égard aux manifestations
qui aujourd’hui ébranlent depuis plus de six mois l’ancien
territoire britannique, l’épisode de la rétrocession de Hong
Kong dans « Moi et ma Patrie » étonne dans la filmographie
de Xue
Xiaolu, une jeune réalisatrice qui nous a
donné le très sensible
« Océan
Paradis » (《海洋天堂》)
en 2010.
Le scénario du réalisateur Ning Hao est
considéré comme l'un des meilleurs du film sur Weibo.
À nouveau, il s'agit du dévouement patriotique exemplaire
d'un citoyen. Un chauffeur de taxi (joué par
Ge You (葛优)
donne son billet de cérémonie d'ouverture des Jeux
olympiques 2008 de Pékin à un jeune garçon (Wang Dong 王东).
Celui-ci vient de la zone de Wenchuan, dans la province du
Sichuan, qui fut touchée par un séisme destructeur en mai de
la même année (汶川大地震).
La chanson thème du film par la star de la
musique folk chinoise, Hao
Yun (郝云) « Back
to this day » (《回到那一天》), évoque
tour à tour les chagrins du passé et la grande joie de
l’enfant. Selon ses fans sur
Weibo, sa musique « a le
pouvoir de guérir et réconforter l’âme ». Bien que
l’histoire du ticket olympique au jeune sinistré soit la
trame de cet épisode, c’est le tremblement de terre de
Wenchuan qui ici touche les spectateurs, la corde
patriotique ne vibrant jamais mieux que devant la détresse.
Deux frères délinquants (Chen Feiyu
陈飞宇
[1],
Liu Yuran
刘昊然) sont confiés à un vieil homme bienveillant (interprété par
Tian Zhuangzhuang
田壮壮)
qui espère les réhabiliter par l’exemple, en leur montrant
générosité et empathie. Devant son échec initial, il décide
de les emmener voir l’atterrissage du vaisseau spatial
Shenzhou 11, la première mission habitée chinoise à
s’être arrimée à la station spatiale Tiangong 2 (天宫二号). Les deux frères sont témoins du débarquement des taïkonautes
de la capsule Shenzhou 11 le 18 novembre 2016 à
Siziwang (四子王)
en Mongolie intérieure.... à 90km du lieu d'atterrissage
prévu (détail non mentionné dans le film).
Chen Kaige a choisi la Mongolie intérieure
non seulement parce que c’est effectivement le lieu
d’atterrissage de la capsule de Shenzhou 11, mais
aussi parce que « les autres parties sont toutes filmées
dans des villes, trois à Pékin, une à Shanghai et une à Hong
Kong. » Il estime que « Notre pays a un vaste territoire,
il ne faut pas seulement se concentrer sur les villes
développées de l'Est, mais aussi sur les zones moins
développées. Mon film est une histoire sur le changement. Si
une personne a la chance d’être témoin d’une grande occasion
historique, elle sera transformée par l’énergie qu’elle
génère. » Il ajoute que les enfants dépourvus sont aussi les
enfants de « notre grande nation ». Il a conçu son histoire
entrois dimensions : le Ciel
tian
天,
la Terre
di
地
et l’Etre humain ren
人,
une organisation cosmologique présente dans les textes de
l’antiquité chinoise et remise au goût du jour. Le « Ciel »
est ici représenté par le vaisseau spatial Shenzhou 11,
« les rêves des travailleurs de l’espace et de la population
du pays depuis des décennies » ; la « Terre » se situe dans
une région pauvre de la Chine où le vaisseau a atterri, et
finalement « l’Etre humain », personnifié par les
personnages joués par Tian Zhuangzhuang, les frères et les
gens démunis « dont la « transformation continue de se
produire sur le sol chinois. »
Le 3 septembre 2015, on commémorait le 70e
anniversaire de la guerre anti-japonaise. Deux femmes
pilotes de chasse faisaient partie de « L'Escadron de la
Cérémonie du ciel bleu » (蓝天仪仗队)
qui survolèrent la place Tian’anmen ce jour-là. Le statut
des pilotes féminins de l'armée de l'air chinoise occupe une
position élevée dans le cœur des Chinois. Le réalisateur Wen
Muye, le seul des sept qui a eu recours à une narration
non-linéaire, a scénarisé une relation complexe entre les
personnages et la transformation de leurs sentiments.
L’actrice
Song Jia (宋佳)
se souvenait d’avoir regardé le défilé militaire de 2015
avec sa famille et d’avoir été très émue. Afin de bien se
préparer pour ce rôle, elle s’est rendue à la base aérienne
de « L'Escadron de la Cérémonie du ciel
bleu » dans le but d’assister à la formation de
pilotes. Elle dit admirer leur force intérieure et leur
courage. D’après le réalisateur, les pilotes de l’armée de
l’air chinoise « abandonnent l’ego, choisissent le grand
moi ». Wen Muye a mobilisé les pilotes des avions de chasse
J-10 afin de reproduire la scène du vol du 3 septembre 2015
au complet. Étant le plus jeune réalisateur de l’équipe, il
s’est dit très motivé par la coopération de chacun, ce qui
lui a permis d'acquérir une expérience unique qui le servira
dans ses projets cinématographiques à venir.
Cinq jours après sa sortie,
« Ma Patrie et moi »
domine encore le box-office en Chine. Quand
je suis allée voir le film à Montréal, l’audience,
totalement chinoise, est demeurée complètement coite. Au son
de la voix angélique de Faye Wong
王菲
interprétant la chanson thème de «
Ma Patrie et moi
»,
l’émotion et la fierté étaient palpables.
La chanson thème de «
Ma Patrie et moi
»
Le succès de
« Ma Patrie et moi »
auprès des Chinois ne se dément pas. Mais il
n’a pas été sans critique en Occident. Plusieurs ont parlé
de « propagande », de « fièvre patriotique » ; on a même dit
que « le scénario étant unidimentionnel endormait le sens
critique » (B. D.), et que « Le choix de privilégier
l'anecdotique est très habile, on oublie les vraies peurs,
les souffrances, les horreurs, les famines, les échecs, les
complots, la pauvreté etc… Bon, c'est une gigantesque
bande-annonce de 158 minutes, mais en effet, ça se regarde…
et même, pour une fois, je ne me suis pas endormi ! » (Laurent Septier). Quant à moi, j’ai aussi réussi à rester éveillée
jusqu’à la fin, même si j’ai quitté le cinéma avec
l’impression d’avoir pris une surdose d’images et de
discours soporifiques !