Alors que le
cinéma chinois peut être analysé sous l’angle du regard
croisé qu’il a porté quasiment depuis ses origines sur la
ville et la campagne
[1],
apparaît au début des années 1950 un genre nouveau et
spécifique : le film rural (农村片).
Né dans le bouillonnement des premières années de la
République populaire, le genre s’est perpétué en évoluant et
se diversifiant. C’est en particulier dans ce contexte que
sont à replacer certains grands films des années 1990 qui
reprennent le thème avec une esthétique et une symbolique
spécifiques.
L’évolution du
genre se présente en cinq phases qui correspondent au
développement de l’économie agricole et du monde rural dans
la Chine nouvelle, à partir de la réforme agraire et au gré
des grands mouvements de réforme ultérieurs
[2].
Les films ruraux en sont le reflet, enthousiaste au départ,
plus critique ensuite, après la mort de Mao.
Mais le début des années 2010 voit apparaître en Chine un
mouvement de retour vers le monde rural qui pourrait être
les prémices d’une nouvelle phase de renouvellement du
genre.
1. Réforme agraire et premier plan quinquennal
Les deux premières lois, fondamentales, de la République
populaire sont promulguées dès 1950 : la loi sur le mariage
en avril et la loi sur la réforme agraire en juin. Mais les
années 1951 et 1952 sont marquées par la guerre de Corée et
les grandes campagnes politiques visant à juguler
l’opposition au nouveau régime. Ce n’est qu’en 1953 qu’est
lancé le premier plan quinquennal qui fixe le cadre de
développement du pays dans le domaine économique, mais aussi
pour le cinéma.
Le 1er plan quinquennal et les directives
concernant le cinéma
Les trois années 1949-1952 sont qualifiées de « période de
relèvement économique » ; à partir de 1953 l’économie est
planifiée et encadrée sur le modèle soviétique ; pour les
cinq années 1953-1957, priorité est donnée à l’industrie
lourde, et, en agriculture, à un programme de
collectivisation graduelle, commençant par des équipes
d’entraide évoluant en coopératives.
En même temps, à partir de 1950, est progressivement mis en
place un système de studios d’Etat qui passe par la
nationalisation des studios privés.
Une sous-section du dernier chapitre du plan quinquennal
traite du cinéma, pour lui fixer des objectifs quantitatifs.
Mais les thèmes des films, aussi, sont déterminés dans le
cadre d’un processus planifié : outre les thèmes
nationalistes et guerriers, on trouve en première ligne la
défense et l’illustration des batailles pour la production.
A partir de 1953, l’accent est mis tout particulièrement sur
les thèmes ruraux, dans le cadre de l’application de la
réforme agraire, thèmes souvent liés à la défense de
l’émancipation de la femme. En décembre 1953, dans son
rapport au 2ème Congrès national des écrivains et
artistes, le vice-président de la fédération, Zhou Yang (周扬),
incite à une relance de la production de films de fiction,
mais surtout des films populaires destinés en priorité au
public rural. Il faut soutenir le mouvement de réforme
agraire en mobilisant les paysans tout en les divertissant.
Naissance d’un genre
En réponse à ces directives, à partir de 1953, mais surtout
en 1955, on voit ainsi apparaître un nouveau genre de films,
les films dits ruraux (农村片),
dont beaucoup sont réalisés au studio de Changchun. Il
s’agit en fait de susciter une révolution dans les esprits
et d’illustrer le changement, l’objectif ultime étant de
consolider le pouvoir encore fragile du régime communiste en
renforçant sa légitimité.
Les films ont le plus souvent pour thème central les
conflits dramatiques dans les villages, où les forces de
progrès ont à lutter contre les opposants et les esprits
frileux, conflits résolus par la victoire finale des
premières, avec un message direct au public. Ils sont
parfois liés au thème de la lutte pour l’émancipation
féminine qui est l’autre volet de la nécessaire mutation des
esprits dans les campagnes.
Le scénario est fondé sur une opposition typique
entre bons et mauvais et, généralement, une intrigue
amoureuse simple. Le montage est linéaire, la
narration devant être fluide pour faciliter l’impact
dramatique du conflit, impact narratif et visuel
renforcé par la musique, empruntée au fond de
musique populaire régionale ou locale, avec des
séquences typiques ponctuant les événements festifs.
Ces films s’efforcent en outre de mettre en scène
des personnages authentiques et crédibles, calqués
sur la vie réelle et reflétant la culture
populaire : des personnages auxquels tout un chacun
puisse s’identifier.
Les premiers films ruraux
Le premier film sur le thème de la réforme agraire
est réalisé
La bonne récolte, 1953
Une crise, 1954
dès 1953 et fait figure de précurseur : c’est le
troisième film de
Sha Meng (沙蒙), « La
bonne récolte » (《丰收》)
: il se passe dans un village en 1953, justement, au
moment où sont instituées les « coopératives
d’entraide » (合作社) ;
elles se heurtent bien sûr à des résistances, mais
celles des esprits rétrogrades tombent devant les
résultats de ceux qui vont de l’avant : la
coopération est le meilleur moyen de progresser vers
la prospérité. C’est un film d’un style très
réaliste et très bien interprété.
En 1954, « Une crise » (《一场风波》),
coréalisé par Lin Nong (林农)
et
Xie Jin (谢晋)
est une description quasi documentaire de la vie en
milieu rural au début des années 1950, montrant les
conflits entre moralité traditionnelle et mentalités
nouvelles, l’autorité du clan affrontant celle des
nouvelles autorités (politiques). C’est en même temps
une défense de la nouvelle loi sur le mariage.
Les films à thème rural se multiplient ensuite
pendant l’année 1955 ; ce sont essentiellement des
films soutenant l’institution des structures
coopératives et montrant les travaux d’aménagement
rural mis en œuvre par le nouveau régime. Ainsi :
- « La Terre » (《土地》)
de
Shui Hua (水华),
film sur le mouvement de réforme agraire réalisé
sous l’égide des communistes dans la région de
Zhulin (竹林乡)
dès l’automne 1930, qui dépeint en particulier la
lutte contre les propriétaires fonciers.
- « Une histoire d’été » (《夏天的故事》),
premier film réalisé seul par Yu Yanfu (于彦夫) qui
décrit la vie dans une coopérative agricole du
nord-est.
Mais le chef-d’œuvre de l’année est certainement
« Printemps au pays des eaux » (《水乡的春天》),
premier film réalisé seul par
Xie Jin (谢晋), qui
décrit les conflits dans les villages à la
Une histoire d’été,
1955
Printemps au pays des
eaux, 1955
veille de la mise en place des coopératives : au
début des années 1950, un chef de village rentre
chez lui après avoir participé aux travaux
d’aménagement du fleuve Huai et veut appliquer dans
son village les nouvelles idées qu’il a apprises ;
il doit faire face à l’opposition d’un riche
propriétaire et de son beau-père, mais finit par
gagner l’adhésion de tous ; le marécage est
transformé en rizière.
Mais, après cette vague, les films consacrés à la
vie rurale disparaissent des écrans en 1956. Mao est
désapprouvé au 8ème congrès du Parti,
l’application du 1er plan quinquennal est
jugée trop hâtive, un plan de développement révisé
est adopté. L’atmosphère est trop incertaine.
On ne trouve guère qu’un film rural répertorié,
sorti en juin 1956 : « Le printemps est là » (《春天来了》),
un film réalisé au studio de Shanghai par Gu Eryi (顾而已)
et Huang Zumo (黄祖模),
qui décrit les conflits dans une coopérative, avec
toujours affrontement entre idées conservatrices et
idées nouvelles, entre mentalité routinière et
esprit d’initiative.
Puis c’est l’époque des Cent Fleurs, suivie d’une
reprise en main du régime et de la campagne contre
les droitiers ; dans cette atmosphère tendue, peu de
films sont réalisés. C’est le lancement du Grand
Bond en avant, accompagné d’une collectivisation
accélérée en milieu rural, qui suscite une nouvelle
floraison de films ruraux.
2. 1958-1963 : Grand Bond en avant et
collectivisation
Le Printemps est là,
1956
La période est riche en films destinés au public rural, dans
un premier temps au début du mouvement, pour accompagner et
soutenir les efforts de collectivisation, puis, après le
désastre provoqué par le Grand Bond en avant, pour insuffler
une nouvelle énergie dans les campagnes où la vie repart peu
à peu.
1958-1959 : vive la collectivisation et vivent les communes
populaires
La production cinématographique, aussi, fait un « grand bond
en avant », d’abord en termes statistiques : multiplication
des studios, multiplication des scénarios, dont beaucoup
sont écrits par des auteurs non professionnels venant de la
paysannerie, et multiplication des films, dont la majorité
sont à la gloire des héros du travail, en particulier à la
campagne. Le dixième anniversaire de la fondation de la
République, en octobre 1959, est l’occasion d’une production
sans précédent. On voit apparaître les films en couleur ;
ils étaient jusqu’alors essentiellement en noir et blanc,
les pellicules couleur devant être importées.
Un effort particulier est réalisé pour développer les
documentaires, et les films de fiction en profitent :
beaucoup sont dans un style docu-fiction qui renforce encore
le réalisme de rigueur.
Blooming Flowers and
Full Moon, 1958
Un premier film sorti en 1958 fait figure de
précurseur :
« Blooming Flowers and Full Moon » (《花好月圆》)
réalisé par
Guo Wei (郭维)
d’après une nouvelle de Zhao Shuli (赵树理).
Guo Wei avait été condamné comme droitier pour son
film de 1956 sur un héros de la guerre contre le
Japon : « Dong Cunrui » (《董存瑞》) ;
mais le film avait eu un grand succès pour les
raisons mêmes qui avaient déplu aux autorités : Guo
Wei avait révisé le scénario afin de présenter le
personnage d’abord comme un jeune paysan, drôle et
simple, avant d’en faire un soldat héroïque. C’est
cela qui contribua à rendre ce héros humain et
sympathique auprès d’un auditoire de paysans, et son
sacrifice final apparut d’autant plus émouvant. Mais
c’était un risque, à l’époque, de s’éloigner des
modèles types, et en particulier dans le registre
comique.
En 1958, Guo Wei revient à un procédé semblable pour adapter
la nouvelle de Zhao Shuli, grand écrivain célèbre pour avoir
consacré toute sonœuvreà la peinture des changements
intervenus dans les campagnes du nord de la Chine au début
du vingtième siècle, et plus précisément dans son Shanxi
natal. La nouvelle dont est adapté le film dépeint la mise
en place de la collectivisation dans un village soumis à une
sécheresse chronique.
Guo Wei a ajouté dans son scénario des éléments comiques qui
rendent le film atypique pour la période, sur un sujet qui
va en devenir le leitmotiv : les trois personnages du film
sont devenus des personnages de comédie, contre un seulement
dans la nouvelle dont Guo Wei a en outre renforcé l’intrigue
amoureuse. De stricte description du mouvement de
collectivisation et des conflits entraînés dans un village,
le film est devenu, selon la formule d’un historien du
cinéma
[3],
« une combinaison de romance et de révolution exaltées par
la passion ».
Quant au message du film, il estannoncé par son titre même :
une expression évoquant la parfaite entente d’un couple, et
donc le bonheur conjugal, image évidemment métaphorique
renvoyant à l’avenir radieux de l’agriculture collectivisée.
C’est ce qui advient à la fin du film, sur fond d’image
géante de Mao pour bien souligner l’auteur de cette félicité
idéologique.
Egalement de 1958, et beaucoup plus connu, « Sur
les bords du canal du 8 mars »
(《三八河边》) de
Huang Zumo (黄祖模),
avec l’actrice Zhang Ruifang (张瑞芳)
dans le rôle principal, est de facture beaucoup plus
orthodoxe : c’est un docu-fiction relatant
l’histoire vraie de Chen Shuzhen (陈淑贞),
directrice de la commune populaire « Canal du 8
mars », dans l’Anhui, qui prit l’initiative
d’organiser un groupe d’entraide de huit familles,
ensuite élargi et transformé en coopérative. C’est
un personnage réel, héroïne sur le front de la
production agricole érigée en modèle.
Sur les bords du canal
du 8 mars, 1958
Les films de la période font aussi l’éloge du courage des
jeunes partis défricher les terres inhospitalières du Grand
Nord, ou participant à la mise en valeur de régions arides.
C’est le cas de deux films de 1959 sur un sujet très
semblable.
Les jeunes de notre
village, 1959
Le grand succès de l’année, proche du
chef-d’œuvre, est le film en couleur
« Les
jeunes de notre village » (《我们村里的年轻人》),
réalisé par Su Li (苏里)
sur un scénario de l’écrivain Ma Feng (马烽),
avec pour interprètes principaux
Li Yalin (李亚林)
et l’actrice Jin Di (金迪) :
en 1958, au début du Grand Bond en avant, un groupe
de jeunes d’un village des monts Taihang, dans le
Shanxi, entreprennent la construction d’un réservoir
alimenté par un canal creusé dans la montagne pour
irriguer une zone souffrant du manque d’eau. C’est
un grand film dont le succès tient à la subtilité du
scénario, et à son ton de comédie légère,
interprétée avec beaucoup de justesse.
Un autre film de la même année, également en couleur
et sur le même sujet, est au contraire une œuvre
spontanée, qui n’a pas la finesse du film de Su Li,
mais veut montrer l’atmosphère enthousiaste dans
laquelle a débuté le Grand Bond en avant à la
campagne :« Le Fleuve jaune escalade la montagne »
(《黄河飞渡》) a été
réalisé d’après un scénario collectif de la troupe de théâtre
moderne du Gansu et coproduit par les studios de Changchun
et de Mongolie intérieure ; il montre des jeunes villageois
affrontant le fleuve Jaune pour construire un canal
d’irrigation au péril de leur vie. C’est une sorte de pièce
de théâtre musical, dont la musique et les chants scandent
la narration et lui donnent son rythme.
Le Fleuve
jaune escalade la montagne (extraits)
1961-1963 : retour sur la collectivisation
Dans le climat de crise de 1960, le cinéma est appelé en
renfort dans l’effort national de soutien au monde rural
dévasté : priorité est donnée aux films sur la vie dans les
campagnes, et, en mai, une conférence sur la diffusion des
films donne comme autre priorité la desserte des communes
rurales. Des
équipes sont envoyées dans les campagnes pour recueillir
l’avis des paysans, en particulier sur les scénarios.
A la fin de l’été, au 2èmecongrès
de l’association des cinéastes, le discours d’ouverture est
consacré aux films destinés aux ruraux ; c’est un cinéma
dont est souligné le caractère de masse, avec pour
conséquence, au niveau de la forme, la nécessité d’une
narration claire et linéaire, de personnages simples,
aisément compréhensibles, et d’une conclusion optimiste. Les
objectifs quantitatifs sont rajustés à la baisse de manière
à favoriser la qualité.
Dans ces conditions, les films ruraux fleurissent. Le
premier de cette nouvelle période, sorti en 1961, est un
film de Zheng Junli (郑君里) dont
le titre à lui seul est significatif : « Les arbres morts
revivent » (《枯木逢春》).
En 1962,
« Le
village des acacias » (《槐树庄》),
de
Wang Ping (王萍)
est l’un des grands classiques de la période ; il
met en scène les luttes entre villageois dans un
village du nord de la Chine, d’abord en 1947 au
moment de la réforme agraire dans la région, puis
six ans plus tard, lors de l’établissement d’une
coopérative sous la conduite de la femme qui a été
élue chef de village. Au centre de la narration est
l’affrontement avec le fils de l’ancien propriétaire
terrien du village qui tente de liguer les
villageois contre le projet de
Le village des
acacias, 1962
coopérative. Le film préfigure la reprise en mains par Mao
de la direction du Parti avec son célèbre discours de
septembre à la réunion plénière du Parti : « N’oubliez
jamais la lutte des classes ! ».
Li Shuangshuang, 1962
Mais le grand succès de l’année 1962, lauréat du
second prix des Cent Fleurs en 1963, est
« Li
Shuangshuang » (《李双双》),
réalisé
par
Lu Ren (鲁韧)
d’après la nouvelle de Li Zhun (李准)
« Brève histoire de
Li Shuangshuang » (《李双双小传》).
C’estun
autre grand classique de cette phase idéaliste de la
peinture de la ruralité, au cinéma comme dans la
littérature ; fidèle à la nouvelle, le film voulait
illustrer ce que le Grand Bond en avant aurait pu
être : un temps d’espoir,
de passion et d’énergie irrépressibles visant à libérer les
paysans de leur vie de misère pour en faire des
acteurs à part entière de la vie de la nation. Le
succès du film comme de la nouvelle montre que ce
discours était toujours capable de susciter
l’enthousiasme.
Un autre film sur la collectivisation dans les
campagnes sort encore en 1963 : « Jiangnan dans le
Nord » (《北国江南》),
réalisé par Shen Fu (沈浮),
sur un scénario du dramaturge et scénariste
Yang Hansheng (阳翰笙).
Cette même année 1963 sort aussi un film différent,
réalisé – en noir et blanc - par Ye Ming (夜明)
au studio Tianma, à Shanghai, sur
Jiangnan dans le Nord,
1963
une jeune villageoise qui veut devenir actrice dans la
troupe locale, « La jeune magnanière » (《蚕花姑娘》).
La jeune magnanière,
1963
En 1964, le studio de Changchun produit la seconde
partie du film
« Les jeunes de notre village ».
Sortent encore deux films dont l’action se situe
dans une commune populaire, un autre sur la lutte
des classes dans les régions rurales, et un autre
encore sur les jeunes diplômés qui partent
travailler à la campagne à la fin de leurs études à
l’appel de Mao.
Déjà le vent est en train de tourner : en 1963 est
lancée une
campagne d’éducation socialiste pour lutter contre
les « tendances révisionnistes dans les
campagnes » ; pendant l’été 1964 a lieu un nouveau
mouvement de rectification visant la littérature et
le cinéma. C’est la fin d’une brève période de
grâce….
Mais la réalisation de films ruraux reprend pendant
la seconde partie de la Révolution culturelle, quand
la production
cinématographique est relancée, après 1971, dans une
atmosphère tendue de lutte entre factions. On y
perd la pointe de bonne humeur, voire d’humour, qui
caractérise la meilleure part de la production des années
1950-60, mais les thèmes et le style sont très semblables.
1973-1975 : reprise des films ruraux
Cinq de ces films sont des classiques, réalisés par
de grands metteurs en scène, qui contredisent l’idée
répandue que la Révolution culturelle a été un
désert cinématographique. Ces films ont été réalisés
dans des conditions difficiles : soumis à de longues
révisions, ils ont mis parfois longtemps à sortir.
Trois ont été réalisés en 1973 :
- Green Pine Ridge (《青松岭》) :
remake
de
Green Pine Ridge
(remake 1973)
1973 d’un film de 1965 du même réalisateur, Liu
Guoquan (刘国权) ;
il est
adapté d’une pièce de théâtre sur les conflits de
classe dans un village au moment de la moisson.
Réalisé au studio de Changchun, il a pour acteur
principal Li Rentang (李仁堂)
que l’on retrouvera en 1982 dans
« Le
Talisman » (《如意》).
- Bright Sunny Skies (《艳阳天》)
de Lin Nong (林农),
sorti en février 1974, pour les fêtes du Nouvel An.
Il est adapté d’un roman de Hao Ran (浩然)
publié en 1965, dont
Bright Sunny Skies
1974
l’histoire se passe dans un village du nord de la
Chine à l’automne 1956. Le film, comme le roman,
décrit les conflits habituels provoqués par la mise
en œuvre de la collectivisation, mais il parvient à
rendre la couleur de la vie locale, en particulier
par des dialogues vivants, tirés de la vie réelle.
- Fighting the Flood (《战洪图》)
de Su Li (苏里)/Yuan
Naichen (袁乃晨),
réalisé en même temps que les deux précédents, mais
sorti en 1974. Le film relate la lutte contre de
graves inondations en 1963 dans le Hebei.
Fighting the Flood
1974
Green Pine Ridge
Bright Sunny Skies
Fighting the Flood
Deux autres de ces classiques de la Révolution
culturelle ont été réalisés 1975 :
- The Golden Road (《金光大道》),
coréalisé par Lin Nong (林农)
et Sun Yu (孙羽)
au studio de Changchun. Il est adapté
de la première partie du roman éponyme de Hao Ran
publié en 1972, roman également adapté en
lianhuanhua. Il raconte le processus qui a
conduit des premières étapes de la réforme agraire à
la constitution de la première commune agricole de
paysans pauvres dans un village du district de
Jidong (冀东)
dans le
The Golden Road 1975
Hebei.
- Breaking with Old Ideas (《决裂》)
de Li Wenhua (李文化),
sorti au début de 1976, a un thème original pour la
période : il concerne la lutte pour "démocratiser"
l’éducation à la campagne, c’est-à-dire l’ouvrir aux
paysans.
Les films à thème rural n’ont donc pas disparu
pendant dix ans et ils
reviendront sur le devant de la scène dès les
lendemains de la Révolution culturelle, mais ce ne
sera plus pour célébrer la vie à la campagne de la
même manière.
Breaking with Old
Ideas 1975
The Golden Road
Breaking with
Old Ideas
3. Années 1980 : Maturation du genre
Dans le domaine du film rural, les années 1980 sont marquées
par un double mouvement :
- d’une part, une série de films est réalisée dans la
continuation des films des années 1950-60, les uns sur le
mode laudateur, les autres sur un mode nostalgique, dans une
vision tout aussi idéalisée, mais tournée vers le passé
alors que l’idéalisme des années 1950 était tourné vers
l’avenir ;
- d’autre part, apparaît une cinquième génération de jeunes
réalisateurs, avec une approche critique et une esthétique
différente, qui ne s’intéressent plus à l’histoire
collective, mais à la vie des individus.
Ces mouvements, cependant, ne sont pas si distincts qu’il
peut sembler au premier abord, il y a des passerelles entre
les deux : on assiste en fait à la maturation du genre, donc
à sa diversification, qui passe en même temps par sa
libération de l’emprise idéologique.
Films ruraux ancienne manière
Certains films reprennent des fils narratifs et un
style réaliste semblables à ceux des films qui
avaient pris pour thème la vie dans les campagnes au
moment de la collectivisation. En 1980, le mouvement
est inverse, puisque c’est de décollectivisation
dont il est question, avec l’apparition des contrats
de responsabilité familiale à partir de 1977, et la
libéralisation progressive de l’agriculture.
Un exemple de ces films à l’ancienne mode réaliste
est « Notre chef
Niu Baisui » (《咱们的牛百岁》),
réalisé en 1983 par Zhao Huanzhang (赵焕章),
ou encore la trilogie dite « des champs » (“田园三部曲”)
de
Hu Bingliu (胡炳榴) :
1981 Country Call/Call of the Home Village
《乡情》
coréalisé avec Wang Jing (王进).
1983 Voice fromthe Home Village《乡音》
1986 Country Couple《乡民》
(coscénariste
Jia Pingwa
贾平凹).
Notre chef
Niu Baisui
1983
Ces films ont une riche couleur locale et un sens poétique
très chinois.
En même temps s’amorcet un style et un discours nouveaux.
Transition ou passage de relais
Our Fields,1983
Pendant l’été 1981, professeur à l’Institut du
cinéma de Pékin,
Xie Fei (谢飞)
est chargé de superviser les projets de fin d’étude
sur lesquels travaillent les étudiants de dernière
année. C’est ainsi qu’il participe au tournage de
« Our Fields » (《我们的田野》),
un peu trop, lui sera-t-il reproché, par les
étudiants qui voulaient imposer leur propre vision
et leur propre esthétique.
Le tournage a eu lieu dans la province du
Heilongjiang où se passe l’histoire :pendant la
Révolution culturelle, cinq lycéens de Pékin sont
partis comme volontaires pour défricher le Grand
Nord ; en 1981, l’un d’eux, fraîchement diplômé d’un
institut de machines agricoles, s’apprête à
rejoindre son nouveau poste ; à son passage à Pékin,
il en profite pour revoir ses anciens camarades, et
ils évoquent leurs souvenirs de jeunesse, dans ce
grand Nord terrible ; finalement il décide d’y
repartir et de s’y installer.
Il y a là toute la nostalgie ressentie pour une période très
dure, mais qui fut aussi l’époque bénie de la jeunesse de
tous ces étudiants ; parvenus au seuil de l’âge mur, ils ne
parviennent pas à en effacer le souvenir. Finalement,
l’attrait du passé est le plus fort. On retrouve le même
phénomène en 1983 dans
« Le
gardien de chevaux » (《牧马人》),
de Xie
Jin (谢晋),
où la campagne apparaît, de la même manière, comme promesse
d’un bonheur simple et tranquille, mais aussi détentrice des
valeurs authentiques de la nation chinoise.
Xie Fei fait lui aussi partie des réalisateurs de la
génération sacrifiée par la Révolution culturelle, qui
restent représentatifs de l’esthétique traditionnelle, comme
le montre son premier film, réalisé en 1986 :« La
jeune fille Xiaoxiao » (《湘女萧萧》),
d’après la nouvelle de Shen Congwen (沈从文).
La campagne y est aussi présentée sous un jour idyllique, et
les coutumes traditionnelles y sont défendues comme ayant un
sens profond.
Cette vision fondamentale de la campagne est encore celle
que l’on retrouve dans
« La
Vie » (《人生》),
le film de 1984 de Wu
Tianming (吴天明).
Mais elle est beaucoup plus complexe, la campagne étant
finalement l’ultime recours, le refuge vers lequel revenir
après l’échec d’une tentative d’installation en ville. Il y
a chez Wu Tianming un sentiment de destin inéluctable.
C’est aussi le cas dans
« Le
vieux puits » (《老井》),
deux ans plus tard. Ici encore un étudiant revient
de la ville au village, et ici encore il est pris
dans le réseau des relations et des coutumes
ancestrales. Mais elles lui offrent finalement les
racines dont il avait besoin pour trouver ses
fondements identitaires.
Tous ces films ont déjà une différence essentielle
avec les films ruraux d’avant la Révolution
culturelle : ils s’intéressent au sort des
individus, à leurs souffrances, leurs espoirset
leurs désillusions .Il n’est plus question de
représenter un projet politique ou une ligne
idéologique, voire de s’en faire les avocats.
L’individu a commencé à s’affranchir de la
collectivité, cela crée des problèmes, des tensions,
et c’est cela qui intéresse les réalisateurs. La
cinquième génération va s’attacher à représenter les
drames des destins individuels, mais le faisant dans
une esthétique totalement différente.
Le vieux puits, 1986
Néanmoins il n’y a pas de rupture. Xie Fei comme professeur,
Wu Tianming comme producteur seront deux des grands mentors
de la nouvelle génération qui va poser un regard neuf sur la
campagne. Ils auront contribué à passer le relais.
De la Terre Jaune au Sorgho rouge
La Terre jaune, 1984
« La Terre jaune » (《黄土地》)
sort en 1984, la même année que « La Vie ». Le
parallélisme va durer le temps que s’épuise
l’énergie novatrice de la cinquième génération, et
qu’elle cède le pas à la tentation du commercial.
« La Terre jaune » marque le renouveau du film rural
sous un jour totalement novateur, tant du point de
vue de la forme que du fond. En même temps, le
principe de base est diamétralement opposé à celui
qui a présidé à la naissance du genre. Il est
toujours question de la nécessité du changement,
économique et social. Mais il s’agissait au départ,
au début des années 1950, de soutenir le projet de
réforme agraire, comme il s’agira ensuite de
défendre la collectivisation. Début 1980, au
contraire, le propos se fait critique, et il va le
rester.
Ce renouveau du film rural, comme du cinéma chinois
dans son ensemble, est relancé trois ans plus tard
par un autre film,le premier réalisé par
Zhang Yimou:
« Le
Sorgho rouge » (《红高粱》),
sorti en 1987. On trouve là, outre les
caractéristiques d’une esthétique basée sur l’image,
la couleur et la musique qui porte la même signature
que « La Terre jaune », un propos critique fondé sur
une symbolique complexe, au centre de laquelle est
celle de la femme, que l’on va retrouver approfondi
et démultiplié dans les films du début des années
1990.
4. Années 1990 : de la critique à l’apologie
Les films évoluent en effet dans le courant des
années 1990, pour passer d’un regard critique sur la
société rurale, prise comme emblème, à la défense
des valeurs rurales.
Début des années 1990 : critique de la société
traditionnelle
Le Sorgho rouge 1987
Qiu Ju 1992
C’est en effet la femme qui devient, dans le cinéma
chinois du début des années 1990, l’élément clé des
films ruraux. On la retrouve personnage principal,
mais surtout figure allégorique, symbole récurrent
d’oppression qui dépasse le simple domaine féminin
pour couvrir l’ensemble de la société, soumise à
l’oppression du pouvoir comme la femme est opprimée
par les structures familiales et les mentalités
traditionnelles.
C’est la caractéristique des grands films des années
1990 comme « Judou » (《菊豆》)
et « Qiu
Ju » (《秋菊打官司》)
de
Zhang Yimou,
en 1990 et 1992, ou, dans un style différent, mais
un propos semblable, « Ermo »
(《二嫫》)
de Zhou Xiaowen (周晓文)
en 1994 -Ermo et Qiu Ju pouvant être considérées
comme de lointaines descendantes de Li Shuangshuang,
tout aussi symbolique…
Fin des années 1990 : défense des valeurs rurales
Vers la fin de la décennie, cependant, au fur et à
mesure de la croissance de l’économie et des
bouleversements sociaux qu’elle entraîne, on voit
apparaître un phénomène de retour vers les valeurs
rurales, qui correspond aussi à un changement dans
le cinéma chinois lui-même. Les réalisateurs de la
cinquième génération adoptent une optique plus
commerciale et grand public, et moins critique du
pouvoir, laissant ce soin à la nouvelle génération
celle née au lendemain de 1989, qui est, elle, une
génération urbaine. La critique se déplace de la
campagne à la ville.
Le glissement est net chez
Zhang Yimou,
qui réalise à la fin de la décennie deux films qui
se répondent, en défense des valeurs rurales et des
traditions ancestrales : « Pas un de moins » (《一个都不能少》)
et
« The
Road Home » (《我的父亲母亲》),
tous deux sortis en 1999.
Ermo 1994
5. Années 2000-2010 :Entre documentaire et fiction, de
l’enfer au refuge.
Années 2000
On retrouve ensuite dans les films des années 2000 ce regard
nostalgique sur la campagne et ses valeurs, et ce d’autant
plus qu’elles sont en train de disparaître. Les formes de
fiction n’excluent pas l’humour, voire la comédie.
The Old Donkey 2010
Le regard critiquen’a pas disparu ; il réapparaît
sous forme documentaire, pour s’élever contre les
injustices ou la pollution dont sont victimes les
campagnes. Mais la fiction est aussi un moyen de
documenter le monde rural, en le recréant souvent
par le souvenir et l’imagination. C’est le cas, par
exemple, des deux premiers films de
Yang Jin (杨瑾) :
« The Black and White Milk Cow » (《一只花奶牛》)
en 2004 et « Er Dong » (《二冬》)
en 2008.
La fiction est aussi un moyen de défendre les
traditions contre la modernité qui vide les villages
de ses jeunes, comme, en 2010, dans
« The
Old Donkey » (《老驴头》)
de Li Ruijun (李睿珺),
où le propos est d’autant plus frappant qu’il est
illustré dans le cadre d’une région en voie de
désertification.
Le film rural se fait ainsi de plus en plus le
défenseur de la ruralité dans une approche locale et
personnelle, chacun
revenant vers ses origines : Li Ruijun est le cinéaste du
Gansu comme Yang Jin est celui du Shanxi, et l’on pourrait
multiplier les exemples…. Ce mouvement passe en même temps
par une réappropriation des dialectes locaux.
Années 2010
Dans les années 2010, on voit enfin apparaître des films qui
font de la campagne le refuge idéal ou idéalisé en un temps
où la ville devient enfer urbain, de plus en plus invivable.
Les films ruraux se font en même temps porte-parole
culturels, en incorporant la culture locale, et en
particulier la musique.
Le cinéma rejoint là un mouvement de retour vers le
monde rural soutenu par le pouvoir, comme le montre
le discours sur les lettres et les arts du président
Xi Jinping d’octobre 2014. De manière significative,
dans le discours du président, le retour vers la
ruralité est présenté comme une façon de revenir
vers les valeurs fondamentales du socialisme et
s’inscrit dans son programme de lutte contre la
corruption. Ce discours peut se lire comme un désir
de retour à la pureté
Renaissance de l’opéra
local au Harvestival de Bishan
des origines, ancrées dans les racines rurales.
Mais le mouvement a commencé bien avant cette date, initié
par des projets personnels, comme celui de
Ou Ning (欧宁)
à Bishan (碧山),
dans l’Anhui. Selon Ou Ning, il y en aurait une centaine
actuellement en Chine.
Documentairesur le mouvement “Down to the Countryside”