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Vincent Wang :
une vie de producteur, avec Tsai Ming-Liang et après
par Brigitte Duzan, 09 janvier 2018
Français d’origine taiwanaise, Vincent Wang est
généralement connu comme le producteur de
Tsai Ming-Liang.
C’est vrai, et ce fut déterminant dans sa carrière,
mais il est quelque peu réducteur d’en rester là :
on le retrouve aujourd’hui derrière de jeunes
réalisateurs de tous horizons, chinois et autres,
que l’on peut regrouper, faute de mieux, sous le
label de cinéma d’auteur.
Lorsqu’on voit l’impressionnant palmarès de ses
productions alors qu’il n’a même pas atteint la
cinquantaine, on se demande d’où lui vient cette
énergie et ce talent. Il répond aux questions le
sourire aux lèvres, et l’on ne devine les
difficultés qu’il a |
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Vincent Wang |
rencontrées qu’à quelques allusions entre deux éclats de
rire contagieux.
Années 1990 : années d’initiation
·
Nouveau pays, nouvelle langue
Né le 4 janvier 1971, Vincent Wang est venu en France en
1984, à l’âge de 13 ans, parce que son père, Wang Lou,
journaliste à RFI, est alors venu travailler à Paris. Il
s’installe à Malakoff avec ses trois enfants et fait aussi
des traductions, dont « La Forteresse assiégée » (《围城》)
de Qian Zhongshu (钱钟书)
avec la sinologue Sylvie Servan-Schreiber.
Laissant une île encore sous la loi martiale, le jeune
Vincent sent un vent de liberté en arrivant à Paris, en
particulier au collège. Son problème est qu’il ne parle pas
le français. Il est donc d’abord scolarisé dans une classe
spéciale au collège François Villon, à la porte de Vanves,
puis terminera le secondaire au lycée Michelet. En 1991, il
fait une année à l’université d’Orsay, puis intègre en 1992
l’Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle dont il sort
en 1995.
·
Du cinéma des armées au festival d’Avignon
Il fait alors son
service militaire, et le fait au Service cinématographique
des armées, au fort d’Ivry
.
Il participe ainsi à des tournages de documentaires et
reportages et à des préparations d’émissions, en tant que
cameraman et assistant lumière. C’est une première
expérience pratique.
Ensuite, il fait
un stage au Centre culturel de Taiwan à Paris. C’est dans ce
cadre, en 1997-1998, qu’il est amené à préparer des dossiers
pour la présentation du riche programme taïwanais, intitulé
Désir d’Asie, donné au festival d’Avignon en juillet 1998 :
trois spectacles musicaux, dont l’un revisitant l’opéra
classique chinois
,
et l’autre « Le Roi Singe »
,
plus un ballet sur une chorégraphie inspirée de rituels
taoïstes, un spectacle de musique/danses anciennes des Han,
par le Li Yuan (le Théâtre du jardin des Poiriers), et deux
spectacles de théâtre d’ombres et de marionnettes. Il
accompagne les troupes et leur sert d’interprète.
·
Alain Mazars
Vincent
Wang devient ensuite assistant réalisateur d’Alain
Mazars pour son troisième long métrage : « La
Moitié du ciel »
.
L’histoire se passant en Chine, il fallait des
acteurs chinois. Vincent Wang part à Taiwan et
contacte deux acteurs qui se trouvent être des
acteurs de
Tsai Ming-Liang
(蔡明亮) ;
l’un d’eux, Chen Chao-jung (陈昭荣),
l’un des interprètes de
« La
Rivière » (《河流》)
,
accompagne Tsai Ming-Liang quand il vient présenter
le film qui sort en août 1997 à Paris. Vincent Wang
rencontre ainsi le réalisateur, et lui sert
d’interprète lors de son passage dans la capitale.
Années 2000 : Tsai Ming-Liang
Or, après la sortie de son film suivant, |
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La moitié du ciel |
« The
Hole » (《洞》)
,
Tsai Ming-Liang se
fâche avec la productrice du film, Peggy Chiao. En panne de
producteur, un peu ostracisé dans son pays après « La
Rivière » et « The Hole », et préparant son film suivant, il
fait appel à Vincent Wang.
·
Homegreen Films
Et là-bas quelle heure
est-il ? |
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Celui-ci revient finalement à Taiwan pour y fonder
en 2000, avec
Tsai Ming-Liang
et Lee Kang-Sheng, la société de production
Homegreen Films avec laquelle il va produire
tous les films suivants du réalisateur, jusqu’à
« Stray Dogs », ou « Les Chiens errants » (《郊遊》),
sorti en 2013. Le premier pas est une participation
à la production de
« Et
là-bas quelle heure est-il ? » (《你那边几点》),
en association avec la société parisienne Aréna
Films. Vincent Wang est également assistant
réalisateur de ce film.
C’est un tournant décisif pour lui, qui n’a pas
encore trente ans. Il se souvient en souriant de
débuts artisanaux, dans des locaux originaux : la
société a ses "bureaux" dans une boutique de rideaux
d’un marché de nuit de Taipei. Il y a un associé
pour s’occuper des dossiers à Taiwan même ; Vincent
Wang gère les relations avec l’étranger et la
promotion |
internationale, en particulier celle auprès des
festivals.
Cela l’oblige à des allers-retours fréquents entre
Taipei et Paris, d’où provient une bonne partie de
ses financements et relations. C’est déjà fatigant.
Mais, en 2004, alors que
Tsai Ming-Liang
est en train de préparer
« La
Saveur de la pastèque » (《天边一朵云》),
le gérant de la société disparaît. Dans l’urgence,
Vincent Wang en reprend aussi la gestion. Le travail
devient dès lors épuisant, d’autant plus que les
sources de financement se tarissent peu à peu.
·
Transition
Sa dernière collaboration avec
Tsai Ming-Liang
est le moyen métrage « Le Voyage en
Occident » (《西游》),
quatrième volet de la série commencée avec « No
Form » (《無色》)
et
« Walker »
(《行者》)
en 2012. Ce dernier film était au départ |
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Le Voyage en Occident |
Vincent Wang avec Tsai
Ming-Liang sur
le tournage du "Voyage
en Occcident"
(photo Vincent Wang) |
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une commande du festival de Hong Kong (HKIFF) et
avait Hong Kong pour cadre. Le quatrième volet a été
tourné à … Marseille. En effet, le directeur du
festival FID de Marseille voulait programmer un des
films de la série
« Walker »,
mais
Tsai Ming-Liang
a préféré tourner un autre film, localement,
avec Denis Lavant aux côtés de Lee Kang-Shang.
Ce dernier
film, cependant, n’est pas une production de
Homegreen Films
,
mais de House of Fire, la société de production que
Vincent Wang a fondée entretemps à Paris.
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Années 2010 : House on Fire
C’est en février 2009, après avoir produit
« Visage »
(《脸》)
et « Madame Butterfly », réalisé pour le festival de
Lucca pour le 150ème anniversaire de
Puccini, que Vincent Wang fonde sa propre société de
production, à Paris, en partenariat avec Antoine
Barraud, auteur-réalisateur, et Philippe Dijon de
Monteton, co-directeur du Festival de Lucca :
House on Fire.
Il est fatigué de sa vie entre deux aéroports et
deux valises, sans pouvoir voir ses enfants grandir.
De son côté, constatant
que, d’année en année, le marché du film d’art et
d’essai devient de plus en plus difficile,
Tsai Ming-Liang
désire se
consacrer à d’autres formes d’expression, la vidéo
d’art en particulier. |
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Visage |
Vincent Wang (au
centre) avec Tsai Ming-Liang
et Jean-Pierre Léaud
sur le tournage de "Visage"
(photo Vincent Wang) |
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House on Fire est une autre aventure, tournée vers
la production et la promotion de jeunes cinéastes,
d’Asie ou d’Europe, et le soutien de projets
novateurs : une sorte d’incubateur pour jeunes
pousses cinématographiques d’ici et d’ailleurs,
bénéficiant de l’expérience acquise durant les dix
années de travail pour Tsai Ming-Liang
.
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Pengfei et Beijing Stories
La première production n’est pas de tout repos.
Après une série taïwanaise pour démarrer, Vincent
Wang entreprend la production du premier long
métrage de
Pengfei (鹏飞),
initialement intitulé
« Underground
Fragrance » (《地下香》),
et rebaptisé « Beijing Stories » par le distributeur
français pour sa sortie en France.
Pourquoi Pengfei ? Parce qu’il était stagiaire de
« Visage », puis coscénariste des « Chiens
Errants ». Il n’avait que deux courts métrages
d’école à son actif, le défi était de taille.
Vincent Wang ayant présenté le projet
d’« Underground Fragrance » dans les marchés de
coproduction internationaux prestigieux tels que
Busan, Rotterdam, Turin et Cannes, où il avait été
remarqué, le scénario a ainsi attiré l’attention
d’une riche Chinoise de Pékin qui s’est déclarée
prête à apporter une partie du financement, le
budget n’étant pas exorbitant. Elle a fini par
emporter l’adhésion. |
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Underground Fragrance
(Beijing Stories) |
Le film bénéficiait, il est vrai, d’une idée de départ
originale ; il a quand même d’abord fallu revoir le
scénario, pour donner plus de consistance aux personnages,
mais aussi pour passer la censure, et là avec des
rebondissements inattendus, comme souvent.
Pour la petite histoire, Vincent Wang, sourire en coin,
évoque deux anecdotes aussi drôles que révélatrices. Il y
avait, au départ, une séquence de karaoké, mais, dans le
climat moralisateur croissant après l’accession de Xi
Jinping au pouvoir, le karaoké est devenu politiquement
incorrect aux yeux des censeurs ; il a donc été transformé
en pole dancing, discipline sportive en Chine, ne posant
donc pas de problème moral !
Autre clin d’œil : une séquence comportait des effets de
miroir ironiques, le rétroviseur d’un bus réfléchissant les
slogans affichés dans les rues et prônant une ville de Pékin
civilisée (文明北京).
Les censeurs ont vu rouge, le reflet étant rendu par le
caractère fan
反
(au sens de renvoyer une image), mais il signifie aussi
"s’opposer à", dans le terme "contrerévolutionnaire", par
exemple (反革命).
Exit le reflet des slogans dans le miroir.
Le tournage a été éprouvant. Il a fallu en particulier
demander un jeu neutre aux interprètes, puis gommer les
insuffisances au montage, en donnant une grande importance
au son, plus encore qu’à l’image, et en mettant l’accent sur
des personnages en errance, dans un Pékin presque
fantomatique.
La dernière
épreuve attendait Vincent Wang au moment d’envoyer le film à
la Biennale de Venise où il avait été sélectionné en
compétition dans la section Venice Days. Le film avait passé
la censure à Tianjin, mais il fallait encore l’autorisation
de sortie. Or c’est juste à ce moment-là qu’a eu lieu
l’explosion catastrophique dans le port de Tianjin
.
Toutes les démarches ont été gelées, et le dossier a été
transmis au bureau central de la censure à Pékin. Dans ces
conditions, le film est parti sans attendre. Et finalement
tout s’est bien passé
.
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Zhang Tao et Le rire de madame Lin
Le rire de madame Lin |
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Autre production récente de Vincent Wang,
« Le
rire de madame Lin » (《喜丧》)
aura été l’une des heureuses surprises du festival
des 3-Continents, à Nantes, en novembre 2017.
Premier film de Zhang Tao, il doit aussi beaucoup à
Vincent Wang sans lequel il n’aurait probablement
pas été terminé, ou du moins pas dans les mêmes
conditions. Zhang Tao a en effet mis plusieurs
années à le réaliser et avait tenté de trouver des
soutiens, des aides, de tous côtés, pour pouvoir
l’achever, mais en vain. |
Quand Vincent Wang a repris le dossier, après l’avoir
découvert au Festival du Premier Film de Xining, la tâche
était d’autant plus difficile que le projet avait déjà
beaucoup circulé, dans un format beaucoup trop long, le
montage ayant conservé des lignes narratives dispersées,
incluant des scènes villageoises et des personnages trop
nombreux dont on avait peine à distinguer les identités. Le
premier travail a donc consisté à refaire un montage plus
serré, mettant l’accent sur les principaux membres de la
famille autour de la vieille dame.
Puis ce fut la
course aux financements, pour la postproduction.
Heureusement le film a
été sélectionné en
2017 pour le programme de l’ACID (l’Association du Cinéma
Indépendant pour sa Diffusion), à Cannes.
Il est sorti en
France fin décembre 2017, après son passage au festival des
3-Continents et au Festival d’Amiens où il a remporté le
prix du Jury.
Il s’agit en fait d’une première partie d’une trilogie,
conçue pour illustrer les changements de la campagne
chinoise. Après les problèmes des personnes âgées, le
deuxième volet, en cours de préparation, traitera des
problèmes de descendance. On n’a pas fini de parler de Zhang
Tao.
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Qiu Yang : Gentle Night et après
Qiu Yang (邱阳)
est un jeune réalisateur chinois dont le troisième
court métrage, « A Gentle Night » (《小城二月》),
a été couronné de la Palme d’or des courts métrages
au festival de Cannes en 2017.
Il est en train de préparer son premier long
métrage, « Under the Sun » (《日光之下》),
qui sera produit par Vincent Wang. Le projet a fait
partie de la sélection de la Cinéfondation Résidence
du festival de Cannes 2017, et il a en outre
bénéficié d’une aide au scénario du CNC. |
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Qiu Yang et sa "Palme
d’or" à Cannes |
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Cinéastes du monde entier, aussi
Alireza Khatami à
Venise (prix du meilleur scénario
pour Les versets de
l’oubli) (photo cineuropa) |
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Vincent Wang s’est récemment tourné vers des
réalisateurs de pays aussi divers que le Portugal
(Joao Pedro Rodrigues, dont il a coproduit
« L’Ornithologue ») ou l’Iran, en l’occurrence le
réalisateur Alireza Khatami dont il a produit
« Los Versos del Olvido » : un film qui devait être
tourné en Turquie, faute de pouvoir l’être en Iran,
et qui, en raison des troubles dans le pays, a
finalement été tourné au Chili, d’où le titre
espagnol. Le film devrait sortir en juin 2018, et
sera distribué par Bodega Film.
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(Il est à noter qu’Alireza Khatami a coréalisé un
court métrage tourné à Taiwan, « M. Chang’s New
Address », qui a été présenté à
la Quinzaine des réalisateurs dans le cadre de la Taipei
Factory en mai 2013 : le programme comportant quatre courts
métrages coréalisés par un réalisateur taïwanais en
partenariat avec un cinéaste étranger, Alireza Khatami était
associé à Chang Jun-chi pour une fable surréaliste qui a été
jugée la meilleure des quatre films du programme.)
Dernier poulain de l’écurie : le français Nicolas
Sarkissian dont le projet de premier long métrage, «
Entrelacs », est en cours de développement.
Et pendant ce temps : Les 3
Luxembourg
En 2012, Vincent Wang a acquis le cinéma d’art et
d’essai du Quartier latin Les 3 Luxembourg –
première salle à Paris à avoir bénéficié de ce
label, en 1966 ; l’objectif était de créer un espace
dédié aux cinémas du monde, en retrouvant la
vocation initiale de ce cinéma : promouvoir
le cinéma d'auteur dans ses tendances actuelles et
favoriser les rencontres en organisant débats,
avant-premières, festivals, rétrospectives et
soirées spéciales.
C’est ainsi qu’ont été organisées là, avec le
concours de
Wafa Ghermani et d’une équipe de jeunes,
les premières Rencontres du cinéma taïwanais. Après
un coup d’essai en 2015, la 2ème édition,
en février 2016, consistait en un cycle de nouveaux
auteurs, et la 3ème édition, en février
2017, avait au programme une série de 12 courts
métrages.
Le cinéma avait fermé en juin 2016 pour sept mois de
travaux, il a rouvert ses portes en février 2017 totalement
rénové
.
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Au cinéma les 3
Luxembourg
en février 2017 |
(Entretien du vendredi 5 janvier 2018, à La Roseraie, à
Paris)
Homegreen Films a encore produit un moyen métrage de
Tsai Ming-Liang
en 20l5 : « No No Sleep » (《無無眠》).
Mais avec un autre producteur.
Pas seulement d’ailleurs : la société a été créée
aussi pour produire, ou coproduire, des projets
intéressants de cinéastes reconnus. C’est le cas d’« Argent
amer » (《苦钱》)
de
Wang Bing (王兵)
et « Adieu Mandalay » (《再见瓦城》)
de
Midi Z (趙德胤),
coproduits en 2016.
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