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Repères
historiques : cinéma de Hong Kong
VI. Années
1990 : après le boom, la crise et une deuxième vague
par Brigitte Duzan, 17 novembre 2019
Dans la deuxième moitié des années 1980,
la Nouvelle Vague
s’essouffle. Ces cinéastes qui ont bouleversé le paysage du
cinéma hongkongais continuent dans des styles différents, et
passent discrètement la main à de nouveau venus qui
constituent une deuxième vague informelle dans un contexte
de crise de cinéma hongkongais à laquelle s’ajoute
l’angoisse de
la Rétrocession du
territoire à la Chine annoncée pour le 1er
juillet 1997.
Cette deuxième vague du cinéma hongkongais regroupe des
cinéastes et des styles très différents, mais qui se
distinguent du cinéma populaire ambiant par une
cinématographie stylisée et osée, à la limite souvent de
l’expérimental, et proche du cinéma d’auteur selon la
définition de Truffaut et de la Nouvelle Vague française.
Parmi les noms les plus souvent cités figurent
Stanley Kwan (关锦鹏),
Clara Law (罗卓瑶),
Peter Chan (陈可辛),
Fruit Chan (陈果),
et
Wong Kar-wai (王家卫).
Contexte de crise sur fond d’angoisse
Incertitude politique et crise économique
L’annonce, le 19 décembre 1984, de la « déclaration commune
sino-britannique sur la question de Hong Kong » (中英联合声明)
et sa ratification l’année suivante mettent la société
hongkongaise en état de choc. La perspective de la
Rétrocession, entraînant le changement de statut du
territoire de colonie de la couronne britannique à région
administrative spéciale de la République populaire,
déclenche une réaction d’angoisse accrue encore par la
répression des manifestations de la place Tian’anmen, en
juin 1989.
Ces événements conjugués entraînent une nouvelle vague
d’émigration, comme en 1967. On estime que près d’un million
de personnes ont quitté Hong Kong entre 1984 et 1997 : ce
sont ceux qui avaient les moyens de le faire, et jouaient un
rôle non négligeable dans les rouages économiques et
financiers du territoire. A l’incertitude politique s’ajoute
une crise économique.
L’angoisse ambiante se traduit dans la littérature comme au
cinéma, mais celui-ci traverse aussi une crise économique
qui lui est propre et se répercute sur la production.
Crise du cinéma hongkongais
All for the Winner,
1990 |
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Fight Back to School |
L’essor du cinéma hongkongais atteint son apogée au début
des années 1990, avec trois sorties qui enregistrent des
records au box-office : « All for the Winner » (《赌圣》)
de Jeff Lau (刘镇伟)
en 1990, « Fight Back to School » (《逃学威龙》)
de Gordon Chan (陈嘉上)
en 1991, et encore « Justice, My Foot » (《审死官》)
de
Johnnie To (杜琪峰)
en 1992 qui réalise près de 50 millions de HK$ d’entrées. Ce
record est encore battu en 1995 par « Rumble in the Bronx »
(《红番区》)
de l’ancien cascadeur Stanley Tong (唐季礼),
avec Jackie Chan : près de 57 millions de HK$ d’entrées
seulement à Hong Kong.
En 1993,
la production hongkongaise représentait encore
environ 73 % de la totalité des revenus du
box-office local. Mais, cette année-là, « Jurassic
Park » de Steven Spielberg a généré 50 millions
de HK$, comme le film de
Johnnie To l’année
précédente. C’est le signe du début de la crise.
En 1994,
entre 60 et 70 films de Hong Kong – soit environ le
tiers de la production de l’année – n’ont pas
atteint les 4 millions de HK$ d’entrées, ce qui les
situait bien en-dessous de leur seuil de
rentabilité. Les ventes de billets ont chuté de 66
millions en 1988 à 44 millions en 1993, 28 millions
en 1995 et 22 millions en 1996
.
Fondée par Raymond Wang en 1993, la chaîne de
cinémas Eastern (Dongfang
东方)
ferme en 1996 ; lui survivent trois chaînes : celle
de la Golden Harvest de Raymond Chow, et les chaînes
Jinsheng (金声)
et Xinbao (新宝),
comptant chacune environ 25 cinémas.
Les films étrangers développent leurs parts de
marché. En |
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Jurassic Park, 1993 |
1992, il n’y a encore aucun film occidental dans les deux
premiers films du box-office hongkongais ; en 1996, cinq des
dix premiers films sont des blockbusters américains.
Parallèlement, en 1996, le nombre de films produits est
tombé à 116, soit moins de la moitié du chiffre de 1993.
Pour la première fois, cette année-là, les films importés
ont fait plus d’entrées que les films locaux (58 % du
total). La dégradation de la situation s’est encore aggravée
dans les deux années suivantes : le nombre de film produits
est tombé à 84 en 1997.
Après la
disparition de Cinema City en 1991
,
la Golden Harvest a augmenté sa part de marché des cinémas
en passant d’un peu moins de 21 % du box-office en 1993 à 36
% en 1998. Mais ces chiffres sont trompeurs. En fait, les
revenus annuels de Golden Harvest Entertainment, la
filiale distribution de Raymond Chow, se sont effondrés,
affichant une diminution de 52% en 1998 par rapport à 1992.
La riposte : cinéma postmoderne, comédie burlesque, mélo
nostalgique ou social
Pour lutter contre la défaveur du public, les producteurs et
réalisateurs se sont tournés vers des styles spécifiquement
liés au cinéma de Hong Kong : le sensationnel frisant le
grotesque, la comédie burlesque tournant à la farce, et le
mélodrame cultivant langoureusement la nostalgie du passé.
Mais ils se sont aussi tournés vers la société urbaine pour
créer ce qu’Ackbar
Abbas a défini comme un « nouveau localisme », en
étudiant les dislocations du local, ses instabilités et les
poches de pauvreté.
Tout cela se mêle
pour créer un cinéma extrêmement varié où même l’exubérance
des films d’action est teintée d’angoisse devant l’avenir,
conjurant des visions apocalyptiques.
Ackbar Abbas,
encore, célèbre une « culture de la disparition » dans un
livre sorti justement, en mars 1997, quelques mois avant la
Rétrocession…
Comédies mo lei tau : le nonsense hongkongais
Dans ce contexte des années 1990, une forme de comédie
remporte un grand succès auprès du public : les comédies
dites mo lei tau (無厘頭),
littéralement sans queue ni tête, l’expression entière étant
mo lei tau gau
(無厘頭尻),
c’est-à-dire « dont on ne peut différencier la tête de la
queue ». C’est un comique totalement absurde, où l’humour
tient à des interactions cocasses d’éléments saugrenus, à
des anachronismes délibérés, à des parodies décalées de
thèmes chinois classiques et de kung-fu, le tout typique de
la culture de Hong Kong, avec des calembours et des jeux de
mots en cantonais, et des répliques culte répétées dans des
situations incongrues.
Les précurseurs en sont les frères Hui à la fin des années
1970, mais ce sont les tensions nées des événements de
Tian’anmen à la fin des années 1980 qui ont conduit à sa
grande popularité dans les années 1990, comme si ce comique
déjanté était bienvenu comme exutoire à l’anxiété. Le genre
est exemplifié par les films de Stephen Chow (周星驰)
devenu le maître de ce style de comédie, l’un des grands
classiques étant le film de ses débuts.
Fist of Fury 1991 |
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Shaolin Soccer |
Il a en effet commencé comme acteur en 1990 dans « All for
the Winner » (Du sheng《赌圣》)
de Jeff Lau (刘镇伟),
parodie de la comédie dramatique « Les Dieux du jeu » (Du
shen
《赌神》)
de Wong Jing (王晶)
où la parodie commence dès le titre. A partir de là, il a
fait de la comédie son genre de prédilection. En 1991, il
tourne dans huit films, dont une suite comique à « La Fureur
de vaincre » ou « Fist of Fury » (《精武门》)
de Bruce Lee produit en 1972 par la Golden Harvest : c’est
« Fist of Fury 1991 » (《新精武门1991》).
Puis, entre 1996 et 2004, il passe derrière la caméra et
réalise et produit quatre films qui sont des grands succès,
et d’abord « God of Cookery » (《食神》) en
1996 et « King of Comedy » (《喜剧之王》)
en 1999
.
En 2001, « Shaolin Soccer » (《少林足球》)
devient le film emblématique de la comédie mo lei tau
des lendemains de la Rétrocession et du nouveau millénaire,
suivi de « Crazy Kung-fu » (《功夫》)
en 2004.
Le postmodernisme selon Tsui Hark : retour à la tradition et
à l’histoire
Ancien de la
Nouvelle Vague,
Tsui
Hark (徐克)
a apporté une autre réponse à la crise du cinéma hongkongais
dans les années précédant 1997. Dans son ouvrage « Hong Kong
Cinema, the Extra Dimensions », Stephen Teo voit dans ses
films de la période un mélange innovant d’esthétique
nouvelle vague, de comédie burlesque et de recherche
identitaire sur fond de « syndrome chinois ». Tsui Hark
utilise le comique pour introduire en liminaire une
réflexion critique ; ses films sont souvent des parodies
allégoriques, mais il s’attache surtout à offrir le plaisir
visuel inhérent au cinéma.
Swordsman, 1990 |
|
Dans ces années de transition, il a en particulier
exploré la relation Chine-Hong Kong à travers des
grosses productions d’arts martiaux en revisitant le
genre pour lui apporter une dimension spectaculaire.
C’est le cas de ses séries des « Swordsman » et des
« Wong Feihung ».
Le premier
« Swordsman » (《笑傲江湖》), en 1990, est adapté d’un
récit de Jin Yong (金庸) ; projet initié par King Hu,
le film a finalement été le produit d’une
collaboration au sein d’une équipe comprenant entre
autres
Ann Hui (许鞍华),
grand nom de la Nouvelle Vague.
Tsui Hark revient
vers la grande thématique des romans et films de
wuxia - l’histoire d’un manuscrit volé contenant les
principes d’un art du combat mystérieux – tout en y
ajoutant une dose de surnaturel. Dans tous ces
films, c’est la sensation, sinon le sensationnel,
qui prime, comme ce sera le cas dans le remake du
grand classique de
King Hu sorti en
1992 :
« New Dragon Gate Inn »
(《新龙门客栈》). |
Le premier « Swordsman » a été immédiatement suivi,
en 1991, du premier « Wong Feihung » (《黄飞鸿》),
ou « Il était une fois en Chine », histoire d’un
légendaire grand maître d’arts martiaux mort en 1924
et descendant de la lignée des moines de Shaolin.
Tsui Hark amorce ainsi une série de films autour de
ce maître dont il fait un héros, à raison d’un film
par an. Le dernier est sorti en 1997, mais réalisé
par Sammo Hung,
Non seulement ces films ont été de grands succès au
box-office et ont contribué à redorer le blason du
cinéma hong-kongais, ils sont aussi devenus de
grands classiques.
La nostalgie sur fond de crise
La crise des années 1990 à Hong Kong est aussi une
crise identitaire qui se traduit par une sorte de
réflexe de survie |
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Wong Feihung / Il
était
une fois en Chine,
1991 |
devenu au cinéma un leitmotiv repris par beaucoup de
cinéastes : la nostalgie des années 1960, perçues comme une
sorte d’âge d’or, l’avenir incertain de la ville justifiant
et expliquant, chez les cinéastes comme chez leurs
spectateurs, le retour nostalgique vers un passé plus ou
moins idéalisé, celui de leurs souvenirs d’enfance. En même
temps, c’est un retour au mélodrame si prisé du public
chinois, mais modernisé et personnalisé.
Les films les plus célèbres dans cette optique sont ceux de
Wong Kar-wai, et bien sûr, d’abord,
« In
the Mood for Love » (《花样年华》),
entièrement construit sur une symbolique évoquant les années
1960, la mémoire du passé étant traduite en images et en
musique. En même temps, conçu avant la Rétrocession mais
sorti après en raison des hasards de la production, c’est
l’un des films les plus emblématiques de la période.
Comrades, Almost a Love
Story |
|
Tout aussi emblématique est le film de
Peter Chan
« Comrades,
Almost a Love Story » (Tian mimi《甜蜜蜜》)
sorti en novembre 1996
,
avec dans le rôle principal féminin l’actrice Maggie
Cheung, devenue emblème de la nostalgie au cinéma
après son rôle dans
« In
the Mood for Love ».
Le film
est une histoire d’amour qualifiée de « romance
deuxième vague », le titre chinois évoquant une
chanson de Teresa Teng dont les airs émaillent la
bande son du film, en contrepoint nostalgique d’un
scénario qui n’est pas spécialement romantique.
« Comrades,
Almost a Love Story » comporte aussi des références
au film anglo-américain de 1960 de Richard Quine
« The World of Suzie Wong », qui décrit les
aventures d’un architecte américain arrivant à Hong
Kong et tombant amoureux d’une jeune femme qui se
révèle être une prostituée de Wan Chai. Filmé à Hong
Kong, « The World of Suzie Wong » est un document
sur la ville dans les années 1960 ; c’est l’un des
premiers films occidentaux à |
offrir des images aussi
réalistes de Hong Kong à l’écran. En tant que tel, même si
le scénario est affligeant, c’est un support affectif de la
nostalgie des années 1960 qui a inspiré Peter Chan et sa
scénariste Ivy Ho (岸西).
Eclipsé ensuite par le film de Wong Kar-wai,
« Comrades, Almost a
Love Story » a été l’un des grands succès du cinéma
hongkongais avant la Rétrocession, à Hong Kong mais aussi à
Taiwan, pour les mêmes raisons. Il a été remis à l’honneur
dans une version restaurée en 2012, et a été projeté en 2013
à la 70ème Biennale de Venise.
Cette même nostalgie se ressent dans les films de
Stanley Kwan (关锦鹏)
comme
« Center Stage » en 1991, hommage à l’actrice
shanghaïenne
Ruan Lingyu (阮玲玉), mais aussi
« Red Rose, White Rose » (《红玫瑰与白玫瑰》)
en 1994. Dans ce dernier film, le sentiment de
nostalgie pour la Shanghai d’autrefois se manifeste
doublement : il tient d’abord à la décision
d’adapter la nouvelle éponyme de Zhang Ailing, mais
aussi au choix, pour interpréter le rôle principal,
de l’actrice
Joan Chen (陈冲),
native de Shanghai et souvent choisie comme symbole
de la ville.
Les
mélodrames de la réalité sociale
Tous les mélodrames de cette période ne sont pas forcément nostalgiques.
Une autre partie, surtout dans la première moitié
des années 1990, représente un genre différent,
fondé sur l’analyse et la peinture de la réalité
sociale, dans ses |
|
Cageman |
aspects les plus sordides parfois. C’est le cas du
« Cageman » (《笼民》)
de
Jacob Cheung (张之亮)
sorti en 1992 ; une enquête approfondie des conditions de logement
inhumaines et des extrêmes de pauvreté dans les quartiers
les plus surpeuplés de Hong Kong.
Summer Snow |
|
C’est le même humanisme, les mêmes préoccupations sociales, qui
caractérisent le film d’Ann
Hui (许鞍华)
de 1994 « Summer Snow » (《女人四十》) ;
elle y dépeint le combat quotidien d’une femme d’âge
moyen pour parvenir à équilibrer sa vie, entre son
travail et les soins qu’elle doit prodiguer à son
beau-père, atteint de la maladie d’Alzheimer.
Sorti quatre ans auparavant, son film « Song of the Exile » (《客途秋恨》),
en grande partie autobiographique, dressait à
travers sa propre expérience personnelle un tableau
complexe des identités conflictuelles de beaucoup de
Hongkongais. C’est un autre sentiment nostalgique
qui perce là, dans une tonalité subtile qui est le
meilleur de la réalisatrice.
A l’opposé de ces mélodrames de qualité, et en concurrence au box-office
pendant cette période, sont les films dits « de
catégorie 3 ». |
Les films de catégorie 3
C’est une ordonnance promulguée en 1988 qui créa à
Hong Kong une classification des films en trois
catégories, la troisième désignant les films
interdits aux moins de 18 ans, films qui se
multiplièrent au début des années 1990 pour attirer
le public avec un mélange de film noir, film
d’horreur et soft porn. En 1992, une bonne moitié
des films produits à Hong Kong étaient des films de
catégorie 3 qui en rajoutaient dans les excès porno,
sadomasochistes et autres par rapport aux films
érotiques à petit budget des années 1970.
Apparut même alors un sous-genre mettant en scène
des vengeresses diaboliques, le modèle du genre
étant « Naked Killer » (《赤裸羔羊》)
réalisé par Clarence Fok en 1992, mettant en scène
des tueuses lesbiennes. Les faiblesses du scénario,
écrit par Wong Jing également producteur du film,
sont rachetées aux yeux des amateurs par les scènes
d’action virtuoses. Sorti aux Etats-Unis, le film
est devenu un classique-culte. |
|
Naked Killer |
Sex and Zen, le soft
porn chic stylisé |
|
Ces films de catégorie 3 ont eu un tel succès au
box-office qu’ils ont incité les grands studios à en
produire. C’est ainsi que Golden Harvest a produit
un autre classique du genre en 1991 : « Sex and
Zen » (《玉蒲团之偷情宝鉴》),
réalisé par Michael Mak (麦当杰》),
dont le titre évoque le célèbre roman classique
érotique de Li Yu (李渔)
« La Chair comme tapis de prières » (《肉蒲团》).
Après des recettes de plus de 20 millions de HK$,
« Sex and Zen » a fait des émules et été suivi de
plusieurs séquelles.
Comme
beaucoup d’autres, ces films de catégorie 3 se sont
prêtés à des interprétations allégoriques liées à
l’angoisse pré-1997. Certains critiques ont vu dans
le mélange d’érotisme et de cruauté qui leur est
propre une sorte de « danse de mort d’une ville
décadente »
.
Mais ce genre de vision dystopique a aussi des
éléments de misogynie, d’homophobie, de fascination
pathologique pour la mort qui attirent le spectateur
comme une sorte de carnaval morbide |
explorant les
aspects obscurs d’un psychisme refoulé et réprimé.
Wong Jing (王晶)
a été le grand maître du genre, affichant des résultats
inégalés au box-office en tant que réalisateur, scénariste
et producteur. En 1996, il a travaillé sur pas moins de
quinze films qui ont totalisé 30 % du box-office total de
Hong Kong cette année-là. Au total, il aura produit/réalisé
44 films dans les années 1990, ses films figurant
régulièrement dans la liste des dix plus grands succès de
l’année.
Contrairement à son père Wang Tianlin, ou Wong Tin-lam (王天林),
célèbre réalisateur de films en mandarin aux Studios Cathay
dans les années 1950 et 1960, Wong Jing représente le côté
excessif et vulgaire d’un cinéma cantonais axé sur la
rentabilité, avec beaucoup de succès et sans complexes. Il a
fait dire à l’un des personnages de son film de 1994
« Whatever You Want » (《珠光宝气》),
un pastiche à peine déguisé de Wong Kar-wai, qu’il faisait
de la vulgarité un art, à la portée de tout le monde. Ce
pourrait aussi bien être le logo du cinéma commercial
hongkongais de catégorie 3.
Transition : Fruit Chan, le cinéaste de la Rétrocession
En 1994, après des années passées à travailler comme
assistant de réalisation,
Fruit Chan (陈果)
réussit à réunir 500 000 HK$ et des bouts de
pellicules abandonnées après diverses productions,
et se lance dans la réalisation de son premier film,
sorti en 1997 :
« Made
in Hong Kong » (《香港制造》)
qui montre l’envers de l’image glamour de Hong Kong
et se situe dans la lignée du « Cageman » de Jacob
Cheung, mais dans un style inédit.
Le film est considéré comme représentatif de
l’atmosphère qui régnait à Hong Kong à la veille de
la Rétrocession,
atmosphère sombre où la violence est latente faute
de pouvoir exprimer son désespoir autrement. C’est
le premier volet d’une trilogie dont les deux autres
volets sont sortis dans les deux années suivantes et
compètent le tableau des classes les plus marginales
de la société hongkongaise. La trilogie marque une
transition vers une nouvelle créativité, un nouveau
style, de nouvelles thématiques. |
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Made in Hong Kong
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La Rétrocession passée, dans le plus grand calme, c’est une
sérénité apparente qui s’installe à Hong Kong, une sérénité
trompeuse recélant toujours une incertitude quant au futur,
une sorte de malaise diffus : le risque de conflit politique
est repoussé, mais l’avenir n’est défini que pour cinquante
ans.
La crise financière asiatique qui s’est déchaînée en
1997 n’a fait qu’aggraver la situation économique, en
entraînant une dévaluation de la plupart des monnaies du
Sud-est asiatique pouvant atteindre 70 %. S’y ajoutent les
pertes subies sur le marché de Taiwan ainsi que
l’impact du piratage et de la hausse des coûts de
production, mais aussi une politique désastreuse de
fixation du prix des billets de cinéma : à la suite
d’une tentative désespérée de gonfler les revenus, le prix
des billets pour les films locaux étant maintenu à 5 US$,
celui des billets pour les grosses productions américaines a
été porté à 7.50 US$ en même temps que les trois chaînes de
cinéma offraient des réductions non plus seulement le mardi
(comme instauré en février 1997) mais tous les jours. Le
résultat a simplement été de dévaluer le cinéma aux yeux du
public, en l’incitant à regarder les films à la télévision.
Reflétant tout cela, l’année 1998 apparaît comme une
année charnière, symbolisée par les difficultés
rencontrées par la Golden Harvest qui,
déjà en déficit, a accusé plusieurs revers dramatiques : la
mort de son cofondateur, la démission de Jackie Chan du
Conseil d’administration, et le déménagement forcé de ses
opérations à Hammer Hill Road. Ce déménagement a été
considéré comme une marque symbolique de la fin de la grande
époque du cinéma de Hong Kong. Pour consolider ses
activités, Raymond Chow a conclu un accord de partenariat
avec un groupe australien, Village Road, mais ses revenus au
box-office ont continué de s’effondrer.
A partir de 1998, l’exiguïté du marché local et la
concurrence des films étrangers va poser de nouveaux
problèmes au cinéma de Hong Kong et inciter à de nouveaux
choix….
Suite :
VII. Le cinéma hongkongais après 1997
Bibliographie
- Hong Kong Cinema, the Extra Dimensions, by Stephen Teo,
British Film Institute, 1997
Abstract and Table of contents :
https://www.bloomsbury.com/uk/hong-kong-cinema-9780851705149/
- At Full Speed: Hong Kong Cinema in a Borderless World, by
Esther Yau, University of Minnesota Press, 2001, 352 p.
- Chinese National Cinema, Yingjin Zhang, Routledge 2004,
chap. 8: Cinema and the transnational imaginary, 1990-2002,
on Hong Kong cinema pp. 259-271
- Hong Kong: Culture and the Politics of Disappearance,
Ackbar Abbas, University
of Minnesota Press, mars 1997, 168 p.
Article : Decolonial Moments in Hong Kong Cinema, Vivian
Lee, July 15, 2013
https://socialtextjournal.org/periscope_article/decolonial-moments-in-hong-kong-cinema/
“Decolonial moments” in Hong Kong cinema … have to be sought
through the fissures of the dual paradigms of the national
and the colonial.
Et produit par la société de production créée par
Eric Tsang (曾志伟)
en 1990 pour produire des mélodrames à moyen budget
à teneur sociale, avec de grandes exigences
artistiques : la United Filmaker Organization (UFO).
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